Texte : Luana Werdenberg
Entre la pandémie de coronavirus et la guerre en Ukraine, le terme de « réserves obligatoires » est entré dans le vocabulaire courant. En effet, la Suisse, dont le taux d’autosuffisance s’élève à environ 50 %, dépend des importations de matières premières de l’étranger. Si ces dernières sont interrompues et qu’une pénurie de biens s’ensuit au niveau national, par exemple en cas de guerre, l’Etat décide de puiser dans les réserves. Celles-ci sont sous la surveillance de l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE).
Quatre catégories de réserves obligatoires existent : alimentation, énergie, produits thérapeutiques et biens industriels. L’OFAE passe des contrats de stockage obligatoire avec des entreprises qui sont ainsi tenues de stocker un certain bien dans une quantité et un lieu préalablement définis. Ces biens sont régulièrement transbordés et vendus par les entreprises concernées (qui en sont les propriétaires) par le biais de leurs canaux de vente habituels. L’OFAE fait des contrôles réguliers des entrepôts.
Douces réserves d’énergie
Font partie des aliments à stocker, d’une part, les produits alimentaires directement consommables (tels que le riz), et d’autre part, les produits non transformés tels que le blé dur ou les céréales panifiables. « Les réserves obligatoires servent à stocker des produits de première nécessité pour faire face aux crises et aux pénuries », c’est ce que mentionne le site Internet de Réservesuisse, l’organisation d’entraide de toutes les entreprises qui détiennent des stocks obligatoires d’aliments et de fourrages. Cependant, à première vue, les stocks disposent aussi de produits alimentaires auxquels il serait possible de renoncer en cas de crise.
Il est évident que personne ne se nourrit de café.
Par exemple, le sucre : si ce dernier ne permet pas à lui seul de remplacer un repas entier, il peut servir, en cas de crise, à couvrir rapidement les besoins en calories. « En outre, le sucre a toute sa place parmi les produits de réserve car il se conserve longtemps », renchérit Thomas Grünwald, porte-parole de l’OFAE. S’agissant de l’alimentation, le terme « de première nécessité » désigne qu’il s’agit d’un bien dont le corps a besoin pour survivre en termes de nutriments et d’énergie. Le sucre couvre donc ces besoins. Mais qu’en est-il alors de « l’or noir », le café ?
Il est évident que personne ne se nourrit de café. Qui plus est, pourquoi donc stocker un produit importé de pays lointains ? La moquerie serait facile : regardons le monde s’écrouler avec une tasse de café à la main.
Au pays du café (et non du chocolat)
Selon Procafé, l’association pour la promotion du café, environ 50 à 55 % du commerce mondial du café est organisé via la Suisse. Plus de 85 000 tonnes ont été importées en 2023 pour la consommation propre. Déjà au XVI e siècle, de riches marchands avaient découvert le fort potentiel lucratif du café. Ils ont importé les précieux grains et d’autres matières premières des pays colonisés d’Afrique et d’Asie et les ont revendus.
A cela se sont ajoutées deux inventions suisses qui ont révolutionné le marché du café : le café soluble et les capsules en aluminium, toutes deux créées par le groupe suisse romand Nestlé. Ces produits restent confectionnés en Suisse et sont exportés dans le monde entier, ce qui fait de la Suisse l’un des plus grands négociants de café.
En outre, la Suisse est célèbre bien au-delà de ses frontières pour ses machines à café de haute qualité.
Le café, vital pour la Suisse
En 2019, une consultation proposait de supprimer les réserves obligatoires de café en raison de sa teneur nulle en calories. Les réponses ont clairement mis en évidence un effet important du café : cette boisson chaude riche en caféine est particulièrement importante pour la psyché et le moral des citoyen·nes suisses. C’est pourquoi le Conseil fédéral a décidé de maintenir le café dans les réserves obligatoires.
C’est que les Suisses adorent le café : près de 95 litres par personne sont consommés chaque année en Suisse, soit l’équivalent d’environ 633 tasses par an (ou de deux tasses par jour). La population suisse consomme ainsi plus de café que de boissons sucrées (env. 88 litres par an).
En cas de changement des habitudes alimentaires, l’assortiment est adapté.
Cependant, le degré de popularité d’un produit ne suffit pas à déterminer le niveau des réserves obligatoires. Le Conseil fédéral est seul à décider quels biens sont d’importance vitale et doivent être stockés. Il convient avant tout de déterminer les biens pouvant couvrir les besoins moyens de la population suisse en situation de crise sur une période donnée. La population a tout de même une influence sur les produits choisis par la Confédération. A la question de savoir pourquoi le riz est un aliment stocké alors qu’il existe une alternative locale, Thomas Grünwald répond : « La composition des réserves obligatoires est aussi déterminée en fonction des habitudes alimentaires de la population. Le riz est un aliment de base pour bon nombre de personnes en Suisse. » Et si les habitudes alimentaires changeaient radicalement, l’assortiment serait adapté en fonction.
Cacao, charbon et gestion des crises
Après la Seconde Guerre mondiale, le besoin en sécurité en Suisse était particulièrement prononcé. Les réserves obligatoires contenaient non seulement des biens d’importance vitale ou des médicaments mais aussi des biens de consommation quotidienne tels que le savon, le charbon, les métaux ou les vis. Pas étonnant qu’au pays du chocolat, on stocke du cacao. Si les réserves obligatoires sont prévues pour couvrir aujourd’hui une période d’environ quatre mois, il n’en a pas toujours été ainsi : jusqu’à après la Guerre froide, le niveau des réserves obligatoires était plus élevé pour que la Suisse puisse subvenir à ses besoins durant douze mois.
Mais la Suisse pourrait-elle réellement survivre aujourd’hui si elle ne pouvait plus rien importer ? Plusieurs facteurs entrent en jeu, notamment le fait que la crise ne concerne que les denrées alimentaires ou également l’approvisionnement en énergie, explique l’OFAE. Et de telles situations ne résultent pas seulement de guerres ou de pandémies. En effet, des phénomènes naturels tels que des intempéries, des tremblements de terre, des inondations (comme celles qui ont touché l’Europe de l’Est cet automne), mais aussi des problèmes techniques peuvent aussi remettre en cause la logistique de l’approvisionnement durant plusieurs jours. L’OFAE recommande donc à chaque ménage de disposer de provisions pour pouvoir subvenir à ses besoins sans aide extérieure durant une semaine en cas de catastrophe. Une campagne d’information à ce sujet a été lancée début octobre 2024, en collaboration avec le commerce de détail, pour sensibiliser la population sur cette thématique importante (www. notvorratsrechner.bwl.admin.ch/fr). « Un calculateur de réserves d’urgence permet aux personnes intéressées de calculer leurs réserves personnelles. Une vidéo interactive informe en particulier les jeunes sur la nécessité de disposer de provisions d’urgence », précise Thomas Grünwald.