Betteraves sucrières bio
En agriculture biologique, la rotation avec diverses cultures est la règle. Mais la betterave sucrière fait rarement partie du lot. Une raison à cela: le travail exigé par la régulation des mauvaises herbes est complexe.
Faible surface cultivée en Suisse
Seuls quelques rares producteurs biologiques cultivent de la betterave sucrière. Dans toute la Suisse, ils ne sont que 11 pour une surface totale de 19 hectares. En 2017, la sucrerie de Frauenfeld a transformé au total près de 46 000 tonnes de betteraves bio, dont seulement 1100 tonnes d’origine suisse, le reste étant importé du Sud de l’Allemagne. Les 1100 tonnes de betteraves suisses ont donné 165 tonnes de sucre. Cette année, la campagne a duré du 26 septembre au 6 octobre. L’usine a d’abord traité les betteraves allemandes, puis les betteraves suisses. Et une fois les betteraves bio terminées, elle s’est occupée des betteraves conventionnelles.
Un énorme travail
Les betteraves sucrières amènent de la diversité dans les rotations riches en céréales. La betterave affectionne les sols profonds et elle est sensible à l’humidité stagnante. Les sols acides avec un pH inférieur à six ne lui conviennent pas, car dans de tels sols, elle est plus sensible à la maladie de la jambe noire. Le semis a lieu au printemps, quand les sols se sont bien ressuyés et réchauffés.
Samuela est la seule variété de betterave sucrière à disposition des producteurs bio. Elle montre une bonne tolérance vis-à-vis de la cercosporiose et de la rhizomanie. La semence est certes d’origine conventionnelle et enrobée, mais elle n’est ni trempée ni colorée.
Eric Ménétrey, agriculteur au Mont-sur-Lausanne, est un des rares producteurs de betteraves sucrières bio. Il a récolté cette année 20 t de racines sur une surface de 8000 m 2 , les 2000 m 2 restant n’ont pas pu être récolté en raison du salissement. C’est un rendement médiocre, puisque la moyenne en culture bio varie entre 40 et 50 t/ha.
Il s’agissait d’un essai en collaboration avec le service de vulgarisation vaudois (Pro Conseils), un groupe d’agriculteurs romands et le service technique bio de fenaco situé à Moudon. Plusieurs modalités ont été effectuées: A1 passage de herse étrille, 2 passages de sarcleuse mécanique et env. 200 heures de travail manuel. Le rendement correspondrait à env. 70 t/ha, mais la charge de travail est énorme. B1 passage de herse étrille, 2 passages de sarcleuse mécanique et plusieurs passages d’écimeuse. Pas de travail manuel. Le rendement correspondrait à env. 30 t/ha.
Sans travail manuel, il est encore à l’heure actuelle extrêmement difficile de gérer les adventices. Il faudrait pouvoir intervenir plus tôt sur la ligne de betteraves, mais on doit faire attention à la faiblesse des jeunes plantes. Si la betterave n’est pas bien enracinée, elle subit de gros dégâts.
Il faut un travail manuel d’env. 200 heures/ha pour arriver à un rendement correct. Peu d’exploitations ont les ressources en main d’œuvre pour réaliser un tel travail. Les agriculteurs préfèrent se lancer dans le maïs grain, beaucoup moins contraignant en heures de travail et en risque financier.
En général, les céréales suivies d’un engrais vert gélif sont considérées comme un bon précédent cultural pour la betterave sucrière. Eric Ménétrey préfère quant à lui semer ses betteraves en début de rotation, par exemple après deux ans de luzerne, car c’est dans cette situation que la pression des adventices est la plus faible. En raison du travail demandé par la lutte contre les mauvaises herbes, le rendement financier de la betterave sucrière est plutôt faible pour le producteur du Mont-sur-Lausanne. Alors pourquoi continue-t-il ? Eric Ménétrey est clair dans sa réponse: « Parce que c’est un problème que j’aimerais résoudre. »
Les maladies posent en revanche moins de problèmes que les adventices. Ce qui est imputable au fait que les apports nutritionnels sont plutôt faibles et que les plantes sont donc moins sensibles aux maladies et aux ravageurs.
Rentabilité
« On recherche actuellement des planteurs de betteraves bio », explique Catherine Metthez, de Sucre Suisse SA. Un projet mis sur pied en commun par Sucre Suisse SA, la Fédérations suisse des betteraviers et Bio Suisse a pour but d’augmenter la production de betteraves suisses bio à 12 000 tonnes par an. Cela correspond à une surface d’environ 200 hectares. Pour y parvenir, les producteurs de betteraves bio touchent depuis cette année une prime de label de 30 francs par tonne, censée rendre la culture de la betterave plus attrayante pour les producteurs bio.
« Avec la prime de label, la culture est devenue plus rentable », souligne Andreas Messerli de Bio Suisse. « Mais le volume de travail ne va pas diminuer et pose un problème à certaines exploitations. »
La représentante de Bio Suisse Catherine Metthez indique par ailleurs que la demande en sucre bio est élevée et qu’elle ne peut actuellement pas être couverte. Le supplément de prix octroyé pour le sucre BioSuisse est entièrement rétrocédé aux producteurs via la prime de label.
En vertu de la convention sectorielle pour 2018, le prix indicatif de la betterave sucrière bio sera de 158 fr./t, y compris prime de label Bio Suisse, pour une teneur en sucre de 16 %. Il y a déduction si ce taux est inférieur et supplément s’il est supérieur.
Auteure
Verena Säle, Revue UFA, 8401 Winterthour
Portrait de l’exploitation
Le domaine d’Eric Ménétrey est situé au Mont-sur-Lausanne (VD). Sur 28 hectares, il y cultive du blé panifiable, l’association pois-orge, du maïs grain, de la féverole, des prairies temporaires et de la betterave sucrière (env. 1 ha). Il a décidé de se lancer dans la betterave bio, parce qu’il adore les défis et voulait mettre ses connaissances techniques, issues de ses nombreuses années vouées à la culture maraîchère, au profit de cette culture exigeante. Il a aussi installé ses surfaces de compensation écologique sous forme de bandes herbeuses riches en espèces, tout autour de ses parcelles. Elles servent de protection contre l’érosion, de refuge et habitat pour les auxiliaires et une barrière physique contre d’éventuels risques de dérive de produits chimiques.
Eric Ménétrey regrette toutefois, que la betterave sucrière bio ne puisse pas être cultivée pendant les deux années de reconversion. Il estime qu’un agriculteur qui ne continue pas à cultiver la betterave pendant la reconversion y reviendra difficilement. D’autres cultures sont beaucoup plus intéressantes au niveau financier et moins élevées en charge de travail.
L’année prochaine, cet amateur d’expérimentation va cultiver du soja sous contrat pour le tofu.