Stockage des pommes de terre
La production de pommes de terre, tant bio que conventionnelle, consiste à mettre un tubercule en terre et laisser pousser la génération suivante, riche de plusieurs nouveaux tubercules. L’agriculteur connaît les défis qu’il s’agit ensuite de surmonter pour faire pousser de manière optimale cette culture et les enjeux financiers que sont pour lui la qualité et le rendement. La vie de la pomme de terre ne s’arrête pas encore là. Elle se poursuit avec la phase de stockage, étape moins connue de l’agriculteur et même totalement méconnue d’une grande partie de la population.
Dès la plantation
La saison de stockage d’un tubercule ne débute pas le 1 er octobre, mais lors de la plantation. Une variété tardive peut être plantée tôt, mais une variété précoce – mi-précoce destinée au stockage ( comme la variété Erika, par exemple ) ne doit en revanche pas être plantée trop tôt. En premier lieu, les conditions de plantation sont primordiales pour le développement de la culture. Le sol doit être ressuyé et la température doit avoisiner 8° C. Par ailleurs, une plantation plus tardive n’améliore pas seulement la levée mais retarde aussi la maturité et donc la date de récolte. Une récolte plutôt tardive avec des températures extérieures plus basses, dès la 2 e moitié de septembre, est plus adaptée pour la conservation des tubercules sur une période prolongée.
L’âge physiologique du tubercule regroupe la somme des températures ainsi que la luminosité accumulée par la plante pendant la phase végétative. Il définit la période de dormance. Plus cette somme est élevée, plus la dormance est raccourcie et plus vite le tubercule va se mettre à germer en influençant la durée de conservation.
Plusieurs générations d’agriculteurs ont connu et connaissent encore la fameuse poudre à répartir sur les tubercules afin de les conserver. Celleci a été remplacée par des versions gazeuses ou liquides pour les stockages à grande échelle. Le principe reste le même, il est basé sur la même matière active, le chlorprophame ( CIPC ). Ces méthodes bon marché et faciles d’application ne sont pas autorisées en agriculture biologique. Il existe actuellement peu de solutions pour le segment bio mais leur influence est tout de même significative sur le développement des germes durant le stockage.
Gaz d’éthylène
Le système à l’éthylène est très utilisé en stockage conventionnel et autorisé pour le stockage biologique. Il convient aussi bien au stockage des oignons qu’à celui des pommes de terre de consommation fraîches. Le principe de Restrain générateur consiste à produire du gaz d’éthylène dans la cellule de stockage. Le mode d’action de l’éthylène, hormone végétale, ne détruit pas les germes mais freine considérablement leur apparition ainsi que leur vitesse d’élongation. L’appareil qui produit le gaz d’éthylène par catalyse d’éthanol contrôle la teneur en éthylène dans la cellule tout au long de la durée de stockage. Il produit de l’éthylène au fur et à mesure de l’évolution de cette teneur, lorsque la valeur cible de 0,01 g / m 3 n’est plus atteinte. Il est donc nécessaire de disposer de bâtiments étanches pour assurer une bonne efficacité.
Cette méthode revêt tout de même certains désavantages. Lors du déstockage de la marchandise, celleci doit être travaillée très rapidement et commercialisée le plus rapidement possible. En effet, lorsque le niveau d’éthylène n’est plus atteint, une réaction inverse se produit et accélère le processus de germination. C’est aussi la raison pour laquelle cette méthode est également utilisée par certains multiplicateurs. Elle permet d’enrayer la dominance apicale des plants et donc de favoriser une germination multiple. Par ailleurs, l’impossibilité d’appliquer cette méthode aux pommes de terre de transformation constitue un autre désavantage. Même une cellule séparée ne suffit pas, il faut que le bâtiment entier soit exempt d’éthylène. L’éthylène entraîne une formation de sucres réducteurs et a donc une influence très négative lors de la friture.
Huile de menthe
Depuis 2018 et le retrait du produit Talenton à base d’huile de cumin, il ne reste qu’un seul produit autorisé en bio et applicable pour les pommes de terre de transformation. Il s’agit du BioX-M à base d’huile de menthe. Il convient aussi aux pommes de terre de consommation et représente donc une alternative à l’éthylène pour ce segment-là. La molécule agit en détruisant les germes en formation. L’application peut se faire par nébulisation à chaud comme par évaporation à froid. La nébulisation se fait toutes les 3 à 4 semaines avec un nébuliseur électrique dont la température d’application est réglable. Le dosage doit être adapté selon le délai et l’état des pommes de terre. Le programme de référence est de 90 ml / to lors du premier traitement et, par la suite, de 30 ml / to toutes les 3 semaines. L’évaporation à froid avec un appareil placé dans la cellule durant toute la durée de l’entreposage permet de doser automatiquement le débit journalier et nécessite moins de main-d’œuvre. Le coût de la matière active, du nébuliseur ainsi que la main-d’œuvre nécessaire rendent ce procédé particulièrement onéreux. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’odeur persistante dans les locaux, les conteneurs ainsi que sur les tubercules.
Un avenir complexe
Le choix variétal, des températures de stockage plus froides ou des délais de déstockage plus précoces permettent, dans certains cas, de se passer de ces méthodes. Toutefois, certains de ces facteurs ne se combinent pas idéalement. Les pommes de terre de transformation doivent être stockées à températures élevées ( 8° C ). Les solutions anti-germinatives biologiques sont donc indispensables pour maintenir une qualité correcte tout au long de la saison. Elles ne permettent cependant pas encore de garder de la marchandise jusqu’en juin-juillet de l’année suivante, ce qui est possible pour la marchandise de transformation conventionnelle. De nouvelles approches sont à l’étude : il s’agit de définir jusqu’à quelle température les variétés ne produisent pas de sucres réducteurs et optimiser ainsi au maximum le potentiel de stockage à froid de chaque variété. Cette méthode prévaut tant pour le segment frais que pour la transformation, car une pomme de terre stockée à une température trop basse peut avoir un goût sucré, même après une cuisson à l’eau. Sachant que peu de variétés ont la faculté d’être stockées à froid, il est primordial d’envisager le recours à des alternatives bio pour le stockage conventionnel. Plusieurs nouveaux produits sont aussi en cours d’homologation en Suisse comme en Europe, mais une combinaison de différentes méthodes sera la clé de la stratégie anti-germinative à l’avenir.
AuteurFabien Curty, fenaco Produits du sol, PM pommes de terre, 3001 Berne
PhotosFabien Curty