Disons-le d’emblée : en Suisse, il n’existe pas d’étude récente sur l’état de santé des agricultrices et des agriculteurs, comme le confirme aussi Peter Kopp, responsable du département Affaires sociales et prestataires de services de l’Union suisse des paysans et secrétaire général d’Agrisano. En Allemagne, le magazine agricole spécialisé agrarheutea réalisé en 2018 un sondage sur l’état de santé des agriculteurs allemands. La majorité des personnes interrogées a affirmé se considérer en bonne santé.
Et qu’en est-il des agriculteurs en Suisse ? « Par rapport à d’autres professions, les agricultrices et les agriculteurs sont en bonne santé », affirme Christian Cotting. « Les élèves suisses alémaniques sont en meilleure santé que leurs collègues romands », précise Daniel Bieri. Depuis trois ans, Christian Cotting et Daniel Bieri sont maîtres de culture générale et d’éducation physique à l’Institut agricole de Grangeneuve (FR).
Selon eux, le fait que les agriculteurs bougent beaucoup et qu’ils exercent un métier physique contribue à les faire figurer parmi les professionnels en bonne santé. Christian Cotting et Daniel Bieri s’empressent néanmoins d’ajouter que « certains jeunes souffrent de problèmes graves, surtout aux genoux et au dos ». Au cours de leur première année de travail à Grangeneuve, ils ont tous deux interrogé leurs élèves sur leurs problèmes physiques chroniques. Sur 20 personnes en formation, trois ont répondu souffrir de problèmes de dos.
Pendant la formation, beaucoup arrêtent de faire du sport
Pendant leur apprentissage agricole, beaucoup de jeunes arrêtent de faire régulièrement du sport. L’argument principal est le suivant : « Comme je travaille physiquement toute la journée, je n’ai pas besoin de faire du sport le soir. » Autre argument fréquemment évoqué : « Je n’ai pas le temps. » « Dans l’agriculture comme dans de nombreux autres métiers, exercer un travail physique n’est pas à lui seul un gage de bon état de santé. C’est plutôt le contraire qui est vrai : le corps peut en souffrir. »
Mais revenons-en aux problèmes physiques qui affectent de nombreux jeunes. A quoi cela est-il dû ? Souvent, les agriculteurs ne sont pas assez sensibilisés à ce qu’ils pourraient entreprendre pour prévenir des problèmes physiques, répond Daniel Bieri : « Ils ne s’échauffent pas assez avant de travailler et n’accomplissent souvent pas correctement certains mouvements. » Il leur arrive aussi fréquemment de travailler seuls sur l’exploitation. Christian Cotting estime que les jeunes ne travaillent souvent pas de manière appropriée : « Chez des jeunes de 16 ans, le corps est encore en pleine croissance. Pendant cette période de leur vie, s’ils exercent un travail physique très pénible et qu’ils n’accomplissent pas correctement certains mouvements, des problèmes physiques sont programmés. »
Sondage auprès des agricultrices et des agriculteurs allemands
En 2018, le magazine spécialisé agrarheute a publié les résultats d’un sondage consacré à la santé des paysannes et des paysans allemands. Ce sondage, auquel 1323 personnes ont participé, permet de tirer les conclusions suivantes :
- Majoritairement en bonne santé Les agriculteurs estiment être majoritairement en bonne santé. Les maladies chroniques les plus importantes sont les maladies musculaires et du squelette, comme les hernies discales (14 %) ou les maladies cardiovasculaires (9 %).
- Le travail est fatiguant mentalement 83 % des personnes interrogées avaient du plaisir à travailler. 55 % des personnes interrogées trouvaient que leur activité était pénible physiquement, 66 % qu’elle était pénible mentalement. 45 % ont affirmé être exposés aux nuisances sonores dans le cadre de leur travail.
- 10,5 heures de travail par jour Le temps de travail moyen a été estimé à 10,5 heures par jour. 40 % ont affirmé dormir suffisamment. Pour réduire les risques de maladie, 70 % des personnes interrogées ont expliqué veiller à une alimentation saine et à faire des pauses pour reprendre des forces (46 %). Les exercices de relaxation, les massages, etc. ne sont par contre que rarement pratiqués.
- 59 % sont épuisés Concernant la charge psychologique et émotionnelle, le sondage est arrivé à la conclusion suivante : 59 % se sont dits à bout de force après une journée de travail. 40 % ont affirmé être épuisés mentalement par leur activité. Malgré cette charge élevée, 78 % des sondé(e)s ont répondu par l’affirmative lorsqu’on leur a demandé si les objectifs atteints en valent la peine.
Source : www.agrarheute.com
Fournir des idées simples pour gérer le quotidien
C’est ce qui explique pourquoi l’éduction physique est une branche à part entière dans le plan de cours hebdomadaire. « Le sport représente un équilibre par rapport aux branches purement théoriques. Les agricultrices et les agriculteurs ne sont en effet pas habitués à passer toute la journée en salle de classe », expliquent les maîtres d’éducation physique de Grangeneuve. C’est d’autant plus vrai en troisième année d’apprentissage, où les élèves passent toute la journée à l’école pendant cinq ou six mois.
Les cours d’éducation physique renforcent aussi la cohésion entre les élèves, estiment encore Christian Cotting et Daniel Bieri. Il arrive ainsi que des personnes qui ont plus de difficultés dans les branches théoriques soient douées pour le sport et qu’elles deviennent elles aussi des leaders. « Pendant les cours d’éducation physique, on assiste parfois à une inversion des rôles entre les élèves », affirme Christian Cotting. « En sport, atteindre un objectif collectivement accroît les compétences sociales », ajoute Daniel Bieri.
Les cours d’éducation physique servent à prévenir des problèmes physiques ultérieurs. « Nous expliquons aux jeunes comment conserver un corps sain pendant 40 ans en leur expliquant qu’ils ne pourront jamais changer de corps », précise Christian Cotting. Les deux maîtres d’éducation physique leurs fournissent notamment des « outils » pour éviter les problèmes de dos, de genoux et des troubles cardiovasculaires.
Les exercices de stretching et de musculation font partie intégrante des leçons d’éducation physique. « Nous axons l’enseignement sur le monde du travail en apprenant aux jeunes comment bien positionner leur corps en travaillant et en leur donnant des idées pour se simplifier la tâche au quotidien », explique Daniel Bieri.
Les jeunes professionnels appré-cient-ils les cours d’éducation physique ? Au départ, force est de constater qu’ils traînent un peu les pieds explique Christian Cotting : « Ils ont du mal à comprendre qu’il faille encore faire du sport pendant les cours alors qu’ils travaillent déjà physiquement dans les fermes où ils effectuent leur apprentissage. Mais après cinq ou six leçons où nous attirons leur attention sur la manière de prévenir des problèmes de santé à long terme, ils se montrent plus ouverts », constate Daniel Bieri.
Conseils pour rester en bonne santé
« Pour rester en bonne santé en exerçant le métier d’agricultrice / agriculteur, il faut agir préventivement », affirment conjointement Daniel Bieri et Christian Cotting, maîtres de sport à Grangeneuve (FR) et Peter Kopp, responsable chez Agrisano. Ils donnent les conseils suivants :
- Opter pour des mesures préventives plutôt que de réagir lorsqu’il est trop tard.
- Il faut aussi que les familles paysannes soient assurées conformément à leurs besoins. Cela englobe une assurance indemnité journalière adaptée, une prévoyance conforme aux besoins, une assurance maladie, mais aussi une assurance chose et une assurance responsabilité civil
- Il faut aussi prendre du temps pour soi et pas seulement pour son exploitation agricole.
- Faire du sport pour s’aérer la tête et garder la forme aide à rester en bonne santé et à réduire le niveau de stress.
- Il faut arrêter de penser que le travail physique sur l’exploitation agricole remplace le sport. Les agriculteurs devraient également faire du sport parallèlement à leur travail à la ferme.
- Eviter à tout prix une charge et une méthode de travail inappropriées ; répartir le travail sur l’ensemble de la journée.
- Mettre en pratique ce qui est enseigné à l’école professionnelle dans le cadre des cours d’éducation physique.
Prendre régulièrement du temps pour soi
Dans le sondage réalisé par agrar heute, 66 % des personnes interrogées ont qualifié leur travail de pénible mentalement. 59 % ont affirmé être à bout de force à la fin d’une journée de travail et 40 % être épuisés émotionnellement.
Le sport a aussi toute son utilité dans ces cas de figure : « Durant l’activité sportive, le corps sécrète des hormones du bonheur », explique Daniel Bieri, raison pour laquelle il est primordial que les agricultrices et les agriculteurs fassent du sport parallèlement à leur métier. « Les agriculteurs travaillant souvent seuls toute la journée, faire du sport avec des collègues leur permet d’entretenir des contacts sociaux », ajoute Christian Cotting, qui leur conseille par conséquent d’être membres d’une association sportive.
Il est par ailleurs important de s’extraire un peu de son quotidien professionnel et de s’aérer l’esprit. « En s’octroyant régulièrement du temps, on se fait aussi du bien », expliquent les professeurs d’éducation physique de Grangeneuve. Selon ces derniers, il n’est pas nécessairement indispensable d’y consacrer énormément de temps. « Faire une demi-heure de jog ging ou aller boire une bière avec un collègue est déjà un pas dans la bonne direction. »
Etre en bonne santé : qu’est-ce que cela veut dire ?
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme suit : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Peter Kopp, d’Agrisano, précise : « La santé est quelque chose de personnel. La santé physique est un aspect parmi d’autres. » Les maîtres d’éducation physique de Grangeneuve (FR), Christian Cotting et Daniel Bieri, ajoutent : « Un être humain est en bonne santé à partir du moment où il maîtrise son quotidien sans éprouver de douleurs, indépendamment du métier et des hobbys qu’il exerce. »
Informations et soutien
- Le service de prévention SPAA est le centre de compétence suissse en matière de sécurité et de protection de la santé au travail dans l’agriculture et les secteurs apparentés. Tél. 062 739 50 40, bul@bul.ch
- La plateforme de soutien de l’UPSF aide et soutient les agricultrices et les agriculteurs en cas de coups durs. Tél. 056 441 12 63, hilfe-aide@landfrauen.ch www.paysannes.ch/femme-homme/aide-et-soutien/professionnelsspecialises/