Depuis 2005, le moratoire suisse sur le génie génétique interdit la mise en circulation d’organismes créés à l’aide de techniques génétiques. Le Conseil fédéral souhaite le prolonger une quatrième fois en 2021. Lors des consultations, les « nouvelles méthodes de sélection végétale » (encadré 1), qui peuvent uniquement être utilisées dans la recherche, seront aussi abordées. Ces techniques devraient permettre d’atteindre plus efficacement des objectifs sur lesquels la sélection végétale classique travaille depuis longtemps.
Une histoire de gènes
La faculté d’une plante à produire beaucoup de biomasse repose entre autres sur de nombreux gènes, leurs variations et leurs combinaisons. Toutefois, le développement d’une plante au champ dépend aussi de l’environnement et de la manière dont les gènes s’expriment dans ce milieu. Il se peut que les descendants de ces plantes soient de mauvais producteurs de biomasse parce qu’ils n’ont pas reçu les « bons » gènes ou que les parents avaient profité d’une année optimale. Des essais en plein champ sur plusieurs années restent donc nécessaires pour plus de sécurité. Des méthodes moléculaires et statistiques sont disponibles depuis les années 2000, ce qui facilite quelque peu le travail des sélectionneurs et sélectionneuses. Les caractéristiques qui sont contrôlées par quelques gènes connus peuvent notamment être prédites de manière assez fiable en laboratoire.
Sélection de lignées pour le blé
Les premières années après le croisement, le sélectionneur de blé recherche les plantes avec les meilleures caractéristiques, en considérant les techniques culturales et les conditions locales. La deuxième phase dure cinq ans, voire davantage : les performances des lignées de ces plantes (descendants issus de l’autofécondation) sont évaluées sur des sites répartis dans différentes régions de Suisse. On étudie alors les tolérances aux situations de stress, telles que la sécheresse, et les résistances aux maladies ainsi qu’aux ravageurs. Pour le blé, on considère aussi la qualité boulangère et la valeur nutritionnelle. Depuis 2017, Agroscope recourt à la sélection génomique (sélection au moyen d’une valeur calculée à partir de l’analyse du génome) pour la sélection de blé. Quoi qu’il en soit, la sélection ne peut pas travailler sans diversité génétique, car rien ne pourrait être modifié sinon. Pour obtenir davantage de diversité, on recourt aussi à des espèces apparentées. Le blé offre cette possibilité car il provient de trois espèces. Des mutations observées ou provoquées, comme la capacité à produire des pailles courtes, sont aussi utiles. Actuellement, il faut compter au moins douze ans depuis les premières étapes jusqu’à la commercialisation d’une variété.
La sélection ne peut pas travailler sans diversité génétique.
Sélection d’hybrides pour le maïs
Pour la sélection d’hybrides de maïs, des lignées des meilleurs hybrides sont croisées entre elles de manière ciblée. Développer des lignées demande beaucoup de temps et de travail, car les plantes doivent être autofécondées plusieurs fois et les performances s’en trouvent souvent diminuées. Car contrairement au blé, le maïs est une espèce allogame (fécondation croisée). L’objectif de sélection numéro un est le rendement, suivi de la précocité et de la qualité du fourrage pour le maïs ensilage. Chez Delley Semences et plantes (DSP; Delley, FR), on compte environ neuf ans entre la réa lisation des premiers croisements et l’obtention d’une variété. Le recours à diverses technologies a permis d’énormes progrès dans la création de lignées (méthode des haploïdes doublés) et dans la réalisation d’essais de rendement (technique de semis et de récolte, numérisation). Les méthodes moléculaires ont encore accéléré les processus de la sélection. Très coûteuse, la sélection génomique est de plus en plus utilisée dans les grandes entreprises. En raison de la concurrence accrue et des besoins élevés en technologie, seules quelques entreprises sont encore actives aujourd’hui dans la sélection du maïs.
Sélection clonale pour la pomme de terre
Les pommes de terre sont multipliées par voie végétative, par les tubercules. Les descendants sont donc tous des clones de la plante mère. La sélection des pommes de terre n’a presque pas changé depuis près d’un siècle : après un croisement, on fait pousser des plantes à partir de graines puis on multiplie leurs tubercules par voie végétative. Ces descendants sont testés puis sélectionnés à plusieurs reprises pendant quelques années. Les caractéristiques importantes sont liées aux quatre segments du marché que sont la consommation, les chips, les frites et la production d’amidon. En fonction du segment, l’aptitude à la transformation, l’aspect, les composants ou l’aptitude au stockage jouent un rôle plus ou moins grand et différentes résistances prévalent suivant la région de production. Au total, les sélectionneurs considèrent plus de 50 caractères importants pour la sélection. Il faut compter une quinzaine d’années entre le croisement et l’obtention d’une variété commercialisable. Ce processus de longue haleine est dû au faible taux de multiplication (environ dix tubercules par plante) et à la difficulté de maintenir les cultures en bonne santé. Le risque de transmission d’infections virales ou bactériennes par les tubercules est en effet élevé. Quelques tendances s’orientent vers la sélection d’hybrides. La multiplication s’effectuerait par les semences et éliminerait de nombreux inconvénients. Des méthodes de détection moléculaires, notamment de résistances, ont amélioré la sélection des pommes de terre.
Sélection de betteraves sucrières hybrides
Pour créer une nouvelle variété de betterave, on commence par croiser ce que l’on appelle un parent d’élite avec une plante possédant une caractéristique souhaitée. La caractéristique recherchée est analysée chez les descendants à l’aide de marqueurs et de biotests. Des hybrides tests sont créés à partir des plantes sélectionnées. Ils sont ensuite soumis à de longues phases de sélection dans le cadre d’essais en plein champ intensifs. Les objectifs de sélection pour la betterave sont liés à la compétitivité et à une production durable de sucre. Parmi eux figurent la stabilité du rendement, également sans traitements chimiques, la teneur en sucre ainsi que la tolérance à la cercosporiose, à la rhizomanie et aux nématodes. Des résistances contre les virus de la jaunisse et le SBR (syndrome des basses richesses) sont d’autant plus importantes depuis l’interdiction des néonicotinoïdes. La tolérance au stress dû à la chaleur et à la sécheresse gagne aussi en importance, car ces phénomènes peuvent accentuer les maladies. Une dizaine d’années s’écoule entre le premier croisement et la variété finale. Les méthodes moléculaires et biotechnologiques, qui sont monnaie courante, ont optimisé la sélection.
Sélection de populations pour les plantes fourragères
Pour les plantes fourragères, les meilleurs individus d’une grande population sont sélectionnés. Seuls ceux-ci peuvent se féconder mutuellement et produire des descendants. Ce procédé peut être répété plusieurs fois. Les descendants constituent une nouvelle variété potentielle. Les critères importants sont le rendement en fourrage, la persistance et la qualité de la biomasse (surtout la digestibilité). Des résistances contre les rouilles et le flétrissement bactérien (chez les graminées) ou contre l’anthracnose et la sclérotiniose (chez les trèfles) sont aussi recherchées. Le rendement en semences est économiquement très important. C’est pourquoi Agroscope accorde de plus en plus d’attention à ce caractère. Après le premier nouveau croisement, il s’écoule bien 18 ans avant que l’agriculteur puisse acheter de la semence certifiée d’une variété. Au niveau international, on s’évertue aussi à créer des hybrides. Depuis plus de 50 ans, on utilise la méthode du doublement du génome grâce à la colchicine (alcaloïde provenant du colchique) chez les plantes fourragères. Suivant l’espèce, les variétés ainsi obtenues se caractérisent par un potentiel de rendement plus élevé et une meilleure digestibilité. Agroscope recourt par ailleurs à des méthodes moléculaires pour améliorer la résistance du ray-grass italien à la rouille couronnée.
Les sélectionneurs font des projections
Des variétés conventionnelles en production biologique ?
Dans les faits, environ la moitié des semences de blé certifiées vendues en production biologique sont des variétés conventionnelles. Les variétés conventionnelles de maïs, de betteraves sucrières et de pommes de terre poussent aussi très bien dans des conditions bio. Quant aux plantes fourragères, les limites entre les modes de production sont floues, car les traitements phytosanitaires sont quasi inexistants et la fumure est en partie organique.
Les objectifs de sélection des deux modes de production sont en majeure partie identiques. La pondération peut cependant différer. Ainsi, l’agriculture biologique se concentre sur une levée vigoureuse et homogène ainsi qu’un développement juvénile et une couverture du sol rapides. C’est essentiel pour concurrencer les adventices et prévenir les maladies. Quant à la betterave sucrière, celle-ci doit présenter des teneurs en sucre élevées en cas de récolte précoce, car la campagne des betteraves sucrières bio débute déjà en septembre dans la plupart des sucreries. Dans la sélection des pommes de terre bio, on travaille particulièrement sur les résistances contre les maladies, telles que le mildiou ou le rhizoctone, et les ravageurs, tels que le ver fil de fer. Après plusieurs décennies de travail, une résistance contre le mildiou a pu être transférée d’espèces sauvages dans de nouvelles variétés.
De nombreux programmes de sélection conventionnels effectuent aussi des tests dans des conditions bio afin de ne pas rater des candidats adéquats.