Les plantes, tout comme les êtres humains, hébergent des locataires. Dans les deux cas, il s’agit d’une relation réciproque. Parmi ces locataires, on trouve des champignons endophytes, qui vivent à l’intérieur ou à proximité des plantes. Cette interaction, appelée endophytisme, s’apparente à un « Bed and Breakfast » : logement et nourriture contre paiement. Le champignon locataire reçoit de l’eau, des sucres issus de la photosynthèse et des minéraux. Le paiement s’effectue sous forme de protection contre des attaques de ravageurs et de soutien en cas de stress. On suppose que la plupart des plantes hébergent des endophytes.
Dissimulés à l’intérieur
Les endophytes les plus connus et appréciés sont les bactéries du genre Rhizobium. Ils forment des associations avec certaines plantes et prêtent main forte à leur « logeuse ». Les rhizobiums adhèrent aux racines des légumineuses, par exemple le trèfle violet, formant de petites boules. Ils fixent l’azote de l’air et en fournissent à la plante. Le mot grec « endos » se rapporte à l’intérieur de la plante, un certain nombre de bactéries et de champignons vivant exclusivement à l’intérieur des plantes. Ils sont donc rarement visibles et sont aussi très discrets. Certains vivent durablement dans la plante tandis que d’autres n’y séjournent que durant une partie de leur cycle de vie. Les champignons endophytes, comme par exemple les espèces du genre Neotyphodium,forment des réseaux denses entre les cellules des plantes et se développent ainsi dans les feuilles et les graines de leurs hôtes. Leur transmission ne s’effectue que par les graines des hôtes, ces champignons ayant perdu la faculté de produire des spores. En revanche, les espèces parentes du genre Epichloëproduisent des spores et peuvent être visibles, car elles forment un film blanc sur la gaine de la feuille supérieure des graminées hôtes. Ce phénomène se produit au moment précis où la plante épie. Cela a pour effet que l’inflorescence reste bloquée à l’intérieur de la gaine ; on parle de « quenouille ». Des endophytes de ces deux groupes ont déjà été mis en évidence dans la fétuque élevée, le dactyle aggloméré, le ray-grass anglais et la fétuque des prés. Dans une espèce végétale, on trouve cependant toujours soit une espèce spécifique de Neotyphodium,soit une d’Epichloë.
Des graminées qui rendent malades
Les endophytes ont été découverts chez les graminées fourragères dans les années 1940 aux Etats-Unis. A cette époque, deux variétés de fétuque élevée particulièrement résistantes au gel y étaient prisées. Cependant, ces graminées hébergeaient un endophyte encore inconnu qui rendait des troupeaux entiers malades. Chez les bovins, les onglons se détachaient, les extrémités des oreilles et de la queue se nécrosaient, la fréquence respiratoire augmentait, la production laitière baissait et de la graisse se déposait dans l’appareil digestif. Les symptômes ressemblaient aux intoxications causées par l’ergot du seigle. Ce n’est que 30 ans plus tard que le responsable de ces symptômes, un endophyte du genre Neotyphodium, a été découvert. Les espèces du genre Neotyphodiumet Epichloëappartiennent à la même famille que l’ergot du seigle, celle des Clavicipitaceae,et sont capables de produire des toxines semblables à l’ergot. C’est pourquoi on les désigne aussi comme endophytes C.
Les deux faces d’une médaille
Les plantes hébergeant des endophytes C sont souvent plus vigoureuses, plus concurrentielles et supportent mieux la sécheresse car elles produisent plus de masse racinaire. Cette catégorie d’endophytes produit des toxines, comme l’ergovaline, le lolitrème B, la péramine et les lolines, qui les protègent des attaques d’insectes. Cependant, les deux premières substances citées sont aussi dangereuses pour les mammifères, donc les animaux et l’être humain. Les endophytes peuvent donc représenter un danger, mais ils peuvent aussi être utiles à l’agriculture pour renforcer les plantes et pourraient contribuer à réduire l’utilisation de produits phytosanitaires. Certaines des entreprises et stations de recherche qui sélectionnent des graminées tiennent compte des endophytes dans le cadre du développement de nouvelles variétés et de la sélection conservatrice, en essayant de maintenir les endophytes inoffensifs et recherchés dans les plantes et en excluant ceux qui sont toxiques et indésirables.
Interview : « Il ne faut pas céder à la panique »
Revue UFA : Comment les endophytes sont-ils traités dans le cadre de la sélection des graminées à Agroscope ?
Philipp Streckeisen : Pour la fétuque des prés, nous cherchons à conserver l’endophyte C, car celui-ci n’est pas dangereux pour les mammifères, il améliore la persistance de la plante et la protège des insectes. Les graminées avec des endophytes C résistent généralement mieux aux maladies et aux attaques d’insectes. Nous ne voulons pas d’endophytes C dans le dactyle car ils peuvent empêcher la production de semences ou la restreindre fortement, et réduire la masse végétale.Cependant, les toxines produites sont sans danger pour les mammifères. Dans le raygrass anglais et la fétuque élevée, nous ne voulons absolument pas d’endophytes C car ceux-ci produisent des toxines qui peuvent avoir de graves conséquences sur les mammifères. Outre les endophytes C, il existe beaucoup d’autres champignons endophytes, mais nous ne nous en occupons pas. Les variétés de ray-grass anglais et de fétuque élevée avec lesquelles nous travaillons ne contiennent pas d’endophytes C nocifs.
Est-il compliqué de se débarrasser des endophytes ou d’en introduire dans une plante ?
P. Streckeisen : Les endophytes C qui se multiplient au moyen de spores, comme sur le dactyle, se retrouvent parfois plus rapidement dans la plante qu’on ne le souhaiterait. C’est pourquoi nous n’utilisons aucune plante sauvage pour les croisements car celles-ci sont souvent porteuses d’endophytes C. En revanche, si on souhaite en avoir, par exemple dans la fétuque des prés, cela nécessite un effort important. Une fois qu’ils y sont, on peut les y maintenir par des mesures appropriées. On peut aussi en introduire dans un nouveau matériel de sélection par des croisements, à condition que les mères contiennent des endophytes, le pollen des pères ne permettant pas de les transmettre.Nous avons constaté que les endophytes C meurent, à raison de 13 % par an, si les semences sont stockées à des températures élevées. La faculté germinative ne se détériore pas dans la même mesure. On peut conserver des endophytes durant plusieurs années à basse température.
Comment met-on en évidence des endophytes ?
P. Streckeisen : Il existe diverses méthodes. Nous recourons à l’immunoblot : nous disposons des fragments de tiges d’environ six semaines sur une membrane. En résumé, des protéines des endophytes sont transférées sur une membrane. On fait ensuite réagir les protéines avec un anticorps. Une fois que cette réaction a eu lieu, on peut rendre visible ces complexes protéine-anticorps avec un colorant, ceux-ci apparaissant alors sous forme de points rouges. Nous testons, d’une part, chaque année quelques échantillons de nos souches de sélection et, d’autre part, nos partenaires de croisement potentiels. Les individus qui hébergent des endophytes C indésirables sont éliminés, car ces derniers peuvent être transmis par les semences et se dissémineraient sinon partout.
Où trouve-t-on la plupart des toxines ?
P. Streckeisen : On trouve en principe les toxines dans toutes les parties aériennes des graminées. Il existe cependant des variations saisonnières. Les teneurs sont plus élevées en fin d’été et en automne. Lorsque les températures baissent en dessous d’un certain seuil, les endophytes ne se développent plus, soit dès la fin de l’automne et jusqu’au début du printemps.Les graminées sont-elles les seules concernées ?
Les céréales le sont-elles aussi ?
P. Streckeisen : Des endophytes C ont été détectés dans de l’orge sauvage. Je ne peux pas dire s’ils sont aussi présents dans les variétés sélectionnées, mais je ne pense pas. Aucun endophyte C n’est connu dans le blé, une découverte annoncée il y a quelques années s’étant révélée fausse.
Un agriculteur doit-il s’inquiéter d’une intoxication de ses animaux ?
P. Streckeisen : Des symptômes tels que ceux observés autrefois aux Etats-Unis sont improbables. A cette époque, les semences étaient vendues directement « dans la moissonneuse-batteuse » et on n’avait aucune idée de ce qu’elles contenaient. De nos jours, un tel cas de figure nécessiterait la combinaison de plusieurs circonstances malheureuses. Un bovin sélectionne sa nourriture et consomme d’abord les graminées sans endophytes. De plus, l’intoxication dépend de la quantité de toxine absorbée. On pourrait se retrouver face à une situation problématique si des prairies naturelles étaient converties en pâturages et que leur utilisation entraînait l’installation de fétuque élevée et de ray-grass anglais endophytés à la place d’individus qui n’en contiennent pas. De telles plantes sont en effet plus robustes et persistantes. Les chevaux seraient les premiers touchés car ils sont beaucoup plus sensibles que les bovins. Le foin issu de prairies naturelles pourrait théoriquement aussi être contaminé. Il faut garder en tête que les toxines ne se dégradent que très lentement durant le stockage. On ne devrait toutefois pas céder à la panique, car les rations de fourrage contiennent plusieurs composants différents.
Pâturages pour chevaux à risque
Les chevaux sont plus sensibles aux teneurs élevées en fructanes mais aussi aux toxines des endophytes que, par exemple, les bovins. Les mélanges de graminées destinés aux pâturages à chevaux sont pauvres en fructanes, mais les graminées sont moins concurrentielles. Cela peut devenir problématique, car ces surfaces sont souvent fortement sollicitées et peu soignées. Avec le temps, des graminées endophytées indésirables pourraient s’établir, notamment si la prairie n’est jamais renouvelée. Si les animaux souffrent de problèmes digestifs ou de comportements anormaux, il faut penser à une intoxication en plus des autres causes possibles. Si c’est possible, ces surfaces devraient être périodiquement rénovées, fertilisées et aussi régulièrement soignées.