Depuis quelques années, les néophytes envahissantes retiennent davantage l’attention des agriculteurs et du grand public. Leur présence et leur propagation font parfois l’objet de controverses. Ces organismes font-ils simplement partie de notre monde globalisé ou doivent-ils être systématiquement éradiqués ?
Les néophytes sont des plantes introduites, volontairement ou non, en Europe et en Suisse après la découverte de l’Amérique. On les appelle « néophytes envahissantes » lorsque ces espèces exotiques causent un dommage. Par exemple, l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia), dont l’annonce est obligatoire, ou le séneçon du Cap (Senecio inaequidens)peuvent provoquer des problèmes de santé aux animaux de rente et aux humains. D’autres espèces, telles que la renouée du Japon (Reynoutria japonica)ou le chèvrefeuille de Henry (Lonicera henryi), occasionnent des dommages et des coûts aux infrastructures, à l’agriculture et à la sylviculture. D’autres encore, telles que le solidage géant ou le solidage du Canada (Solidago gigantea, S. canadensis), ou encore l’impatiente glanduleuse (Impatiens glandulifera), concurrencent les espèces indigènes et portent atteinte à de précieux biotopes. Comme pour les adventices agricoles, le principe qui prévaut est qu’un néophyte envahissant doit être combattu si les dommages attendus dépassent son utilité et les coûts de la lutte.
Evaluer les risques en se projetant dans le futur
Info Flora, le centre national de données et d’informations sur la flore de Suisse, publie les listes des néophytes envahissantes de Suisse sous forme de « Liste Noire » et de « Watch List ». Les espèces qui y figurent ont été jugées envahissantes ou potentiellement envahissantes par un groupe d’experts, sur la base de critères clairement définis dans le cadre d’une analyse des risques. Des facteurs tels que les modifications de l’exploitation du sol ou le changement climatique doivent aussi être pris en considération. Quelles sont les espèces qui pourraient devenir problématiques chez nous si les étés deviennent plus chauds et les hivers plus doux ? Le palmier chanvre (Trachycarpus fortunei)illustre bien ce processus. Il y a quelques décennies encore, il symbolisait les vacances, le soleil et la chaleur au Tessin. Il y a été planté dans de nombreux jardins en étant protégé du froid durant l’hiver. Lorsque des oiseaux consommaient les graines dans les jardins, ils les dispersaient bien souvent dans les forêts alentour où elles pouvaient germer. Après un hiver rude, ces populations sauvages étaient fortement décimées. Grâce au réchauffement climatique, ces palmiers sauvages parviennent à se développer en dépit des températures négatives à proximité du sol et à produire eux aussi des graines. Ils forment ainsi un sous-bois dense qui profite du soleil hivernal grâce au feuillage persistant et concurrencent le rajeunissement naturel des arbres indigènes. Le palmier chanvre est aussi devenu une plante ornementale appréciée au nord des Alpes, où il peut supporter des hivers moyennement rudes. Se pourrait-il que les hivers deviennent assez doux dans le nord de la Suisse pour que le palmier chanvre se dissémine dans nos forêts et pose à l’avenir des problèmes à la sylviculture ? La plupart des experts sont encore sceptiques, mais si nous voulons prévenir les problèmes auxquels le Tessin est confronté, nous devrions, comme dans ce canton, supprimer les inflorescences avant la fructification ou renoncer préventivement à vendre ces plantes.
Une détection précoce des néophytes envahissantes et une réaction adéquate sont un gage de sécurité pour l’avenir.
La vergerette annuelle : désormais très répandue
La vergerette annuelle (Erigeron annuus)s’est fortement propagée ces dernières années. Jusqu’en 2013, cette espèce figurait encore sur la « Watch List » d’Info Flora en tant qu’espèce potentiellement envahissante. Selon des données d’Agroscope encore non publiées, la vergerette compte aujourd’hui parmi les néophytes les plus fréquentes dans l’agriculture. Dans le programme de monitoring « Espèces et milieux agricoles », la présence de néophytes est relevée par Agroscope sur 32 000 placettes réparties dans l’ensemble de la Suisse. Les plus fréquentes ne sont pas les solidages mais la vergerette. Les surfaces touchées sont surtout les vignobles ainsi que les prairies et pâturages extensifs. Une lutte précoce est pertinente sur les surfaces de promotion de la biodiversité car, selon l’OPD, une présence trop importante de néophytes envahissantes peut conduire à des sanctions au niveau des paiements directs. Celle-ci n’est cependant pas aisée. Dans tous les cas, il s’agit d’empêcher la dispersion des graines. L’arrachage des plantes avec les racines est efficace, mais très exigeant en travail. Faucher plusieurs fois n’est pas une solution, du moins pas sur le Plateau ; cela conduit même à une densification des peuplements car la vergerette devient alors vivace. Dans le meilleur des cas, une coupe peu avant la floraison permet d’empêcher une dissémination de l’espèce par les graines. Si le couvert n’est fauché qu’une seule fois, la situation empire même, car la vergerette produit plus de fleurs en deuxième pousse. Dans la pratique, un désherbage manuel répété avant la floraison offre la meilleure efficacité. Idéalement, les plantes en fleur seront éliminées directement avec les ordures ménagères afin d’éviter une dispersion ultérieure des graines. Il faut faire preuve de patience et de persévérance si on veut que la lutte réussisse. Il faut aussi veiller à éliminer la vergerette présente dans les alentours proches ou au moins la faucher avant la floraison afin d’éviter l’introduction de nouvelles graines dans le sol. Comme pour tous les organismes nuisibles, il faut couper le mal à la racine !
Espèces peu connues potentiellement envahissantes dans l’agriculture
Le sicyos anguleux (Sicyos angulatus)est une espèce grimpante et thermophile. Jusqu’à présent, il n’est que très peu répandu en Suisse. On le trouve surtout au Tessin où il est surveillé et activement combattu par la station phytosanitaire cantonale afin d’empêcher sa propagation. Dans le sud et l’est de l’Europe, on le rencontre de plus en plus en tant qu’adventice dans les grandes cultures telles que le maïs, où il peut poser des problèmes considérables. On suppose que l’espèce a été introduite par le biais des importations de fourrage et de semences. Les experts s’attendent à ce que le sicyos anguleux continue à se disséminer en Europe et devienne une adventice aussi en Suisse. Il figure déjà sur la « Liste Noire » dans le Piémont. Il est donc recommandé d’éliminer cette adventice encore peu répandue et d’annoncer toute nouvelle présence à Info Flora.
Une présence trop importante de néophytes envahissantes peut conduire à des sanctions au niveau des paiements directs.
L’asclépiade de Syrie (Asclepias syriaca)est une autre espèce à garder à l’œil. Haute de plus d’un mètre, cette plante ornementale herbacée contient un latex toxique. Elle est apparue en Suisse, notamment au Tessin, en Suisse romande et dans les environs de Zurich, d’où elle s’est échappée des jardins et est revenue à l’état sauvage. Chez nous, on la trouve rarement dans des terrains cultivés. L’asclépiade se dissémine par le biais de graines et de rhizomes. Elle peut, par endroits, former des peuplements denses. En Hongrie, elle occasionne des pertes de récolte et des coûts élevés pour la lutte en viticulture, en arboriculture et dans les grandes cultures. Elle peut aussi fortement se disséminer dans les prairies sèches et concurrencer les espèces indigènes. L’asclépiade figure actuellement sur la « Liste Noire » des néophytes envahissantes de Suisse, raison pour laquelle JardinSuisse, l’association suisse des entreprises horticoles, déconseille de commercialiser cette espèce. Au Tessin, les agriculteurs devraient être mis en garde.
Le séneçon du Cap (Senecio inaequidens)est une plante herbacée aux fleurs jaunes qui pourrait bien causer des tracas à l’avenir en Suisse. Il est apparenté au séneçon jacobée, une espèce toxique et indigène en Suisse, et au séneçon des Alpes. Toutes les plantes appartenant à cette espèce produisent des alcaloïdes nocifs pour le foie qui sont toxiques pour les ruminants et les chevaux et qui ne sont pas dégradés durant la conservation du fourrage. Introduit jadis avec de la laine de mouton en provenance d’Afrique du Sud en Allemagne et en France, le séneçon du Cap s’est disséminé depuis ces pays voisins jusqu’en Suisse. En été, il forme une bande jaune bien reconnaissable le long des autoroutes reliant Genève à Saint-Gall et Coire. Depuis les autoroutes, il se propage dans les zones urbanisées où il se développe sur les toits plats, les surfaces rudérales et les terrains secs. Le séneçon du Cap se rencontre encore rarement sur les parcelles agricoles. En France, cependant, certains agriculteurs se plaignent d’un envahissement massif dans les pâturages extensifs, qui doit impérativement être évité en Suisse. Cette espèce pourrait aussi devenir problématique pour nous autres, êtres humains, si nous consommons du lait ou des produits laitiers contaminés, voire du miel de colonies d’abeilles qui ont butiné du pollen de séneçon du Cap. Des chercheurs du WSL et de l’EPFZ ont développé des méthodes prometteuses qui permettent d’identifier le séneçon du Cap et d’autres néophytes, avec une voiture circulant à 90 km / h le long des autoroutes ou des drones le long des voies ferrées, au moyen de logiciels de reconnaissance d’images. Cette cartographie automatisée peut aider les services d’entretien à lutter contre ces espèces dans les zones colonisées. En agriculture, une éradication rapide est recommandée.
L’agriculture est habituée à gérer les adventices. Les néophytes envahissantes n’y font pas exception. Une détection précoce et une réaction adéquate sont un gage de sécurité pour l’avenir. En cas de doute, les cantons et Info Flora fournissent informations et conseils.
La flore évolue de toute façon, mais…
La composition des espèces floristiques et faunistiques est depuis toujours en constante évolution. Au cours de millions d’années, des mers tropicales ou des glaciers se sont formés en Europe centrale, entraînant avec eux des modifications profondes de la biodiversité. Cependant, ces processus se sont déroulés sur des périodes relativement longues. L’être humain les a fortement accélérés. Durant le néolithique, lorsqu’il s’est sédentarisé et a commencé à cultiver la terre et à élever du bétail, l’homme a introduit de nombreuses plantes sous forme de culture ou d’adventice dans de nouvelles régions. A l’époque romaine, également, de nouvelles espèces sont arrivées chez nous avec le commerce et de nouvelles formes d’utilisation du sol. La découverte de l’Amérique et la colonisation des nouveaux continents ont apporté des modifications encore plus importantes. Cependant, nous faisons face actuellement au plus grand des changements. En raison de la globalisation, les barrières naturelles, telles que les massifs montagneux ou les océans, sont facilement franchis. Les biens et les personnes voyagent d’un continent à l’autre avec une ampleur sans précédent. De nouvelles espèces nous parviennent ainsi sous forme de plantes destinées à l’agriculture, la sylviculture ou l’horticulture. D’autres se déplacent incognito, dans les bagages ou sur les habits des voyageurs, sous forme d’impureté sur du matériel d’emballage, du matériel végétal ou de la terre. Nous nous concentrons certes sur les espèces qui sont envahissantes chez nous ou dans d’autres régions du monde, mais toutes les autres sont finalement un enrichissement.
Les coauteurs sont membres du groupe d’experts pour la « Liste Noire » et la « Watch List » des néophytes envahissantes de Suisse. Ces deux listes sont publiées par Info Flora, le centre national de données et d’informations sur la flore suisse.
Coauteurs Serge Buholzer, Agroscope ; Zurich, Agronome EPF, collaborateur scientifique ; Andrea De Micheli, bureau d’études en environnement / forêt / formation ; Zurich ; ing. forestier EPF; Brigitte Marazzi, Info Flora – c / o Museo cantonale di storia naturale ; Lugano, biologiste, collaboratrice scientifique dans le secteur « Néophytes »; Michael Nobis, Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) ; Birmensdorf ; biologiste, collaborateur scientifique; Sibyl Rometsch, anciennement Info Flora, biologiste ; Berne, Lisanna Schmidt, Uni Fribourg ; biologiste, collaboratrice scientifique Nicola Schönenberger, Innovabridge Foundation ; Caslano, biologiste
Informations complémentaireswww.infoflora.ch ➞Néophytes www.jardinsuisse.ch ➞Environnement➞Protection de l’environnement ➞ Néophytes envahissantes; Ordonnance sur les paiements directs versés dans l’agriculture: www.admin.ch ➞Droit fédéral ➞Recueil systématique ➞Droit interne ➞9 Economie – Coopération technique ➞91 Agriculture ➞910.13 www.ofag.admin.ch ➞Instruments ➞ Paiements directs
Dispositions légales pour les néophytes dans l’agriculture
• OPD, art. 58, al. 3 : SPB QI : Il convient de lutter contre les plantes posant des problèmes comme le rumex, le chardon des champs, le séneçon jacobée ou les plantes néophytes envahissantes ; il y a lieu notamment d’en empêcher la propagation.
• OPD, art. 59, al. 1 : SPB QII : La contribution pour le niveau de qualité II est versée lorsque les surfaces visées à l’art. 55, al. 1, let. a à f, n et o, ainsi que les arbres visés à l’art. 55, al. 1bis, let. a, présentent la qualité floristique ou les structures favorisant la biodiversité et satisfont aux exigences visées à l’art. 58 et à l’annexe 4.
• Annexe 4, chiffre 14.1.6b : Les surfaces viticoles présentant une diversité naturelle, y compris les zones de manœuvre, ne sont pas imputables si la part de néophytes envahissantes excède 5 % de la surface totale. (Chiffre 14.1.7 : des parties de surfaces peuvent être exclues.)