L’entreprise Ricoter Préparation de Terres SA, à Frauenfeld (TG), se voit de loin, avec ses andains fumants de compost d’écorces, hauts de plusieurs mètres. Le nom de l’entreprise reflète son programme : il se compose de la première syllabe des mots Rinde (en allemand : écorce), compost et terreau. Au cours d’une visite avec Beat Sutter, directeur, et de la responsable du site, Jeannette Erb, la Revue UFA a pu jeter un coup d’œil dans les coulisses de la production de terreau. A Frauenfeld et sur son autre site, à Aarberg (BE), Ricoter produit à grande échelle des substrats adaptés aux exigences variées des plantes.
Une mission spéciale
Si le siège de Sucre Suisse SA se trouve en face de l’usine, de l’autre côté de la route, ce n’est pas un hasard. Ricoter Préparation de Terres SA est à 100 % une société fille de Sucre Suisse SA et avait pour mission spéciale, lors de sa fondation en 1981, d’utiliser le plus possible de déchets du traitement des betteraves sucrières pour produire des terreaux de qualité. Les remorques tirées par les tracteurs qui s’arrêtent toutes les minutes devant Sucre Suisse SA ne fournissent donc pas que la matière première pour le sucre. « En arrivant du champ, la betterave est recouverte d’une enveloppe terreuse, à partir de laquelle nous élaborons nos terreaux », explique Jeannette Erb. La partie aérienne verte de la betterave est compostée et valorisée dans les substrats, et le calcaire du Jura, produit lors de la filtration du jus sucré, est conditionné et vendu pour le chaulage des surfaces agricoles. Les pierres des champs sont concassées et utilisées pour la plantation d’arbres. « Ce système est comme un processus sans fin dans le cycle de la matière première », résume Beat Sutter.
La terre végétale
C’est la production de cette terre qui prend le plus de place sur le site de l’entreprise. Dans une halle à ciel ouvert trône une montagne de terre d’environ 12 mètres de haut, et des tuyaux longeant la structure du plafond éjectent sans arrêt des mottes de terre. Jeannette Erb prend une de ces plaques de la taille de la paume de la main, la brise et explique : « Voilà de la véritable terre végétale suisse, très minérale, provenant des meilleurs sols de culture. » L’examen de ces minéraux fait partie du contrôle interne de qualité autant que la détection de graines indésirables. Depuis 2018, la terre pressée vient du plafond, alors qu’autrefois, elle était recueillie dans un bassin de décantation, ce que l’on devine à la coloration des parois en pierre.
Chercher et trouver des alternatives
Quiconque travaille avec du terreau n’échappe pas à la problématique de la tourbe. C’est donc aussi le cas du site de Frauenfeld. Celui-ci a misé dès le début sur l’écorce brute pour remplacer la tourbe. Ce résidu de la filière du bois suisse présente en effet des propriétés similaires à celles de la tourbe et favorise la rétention de l’eau. Depuis 2014, la tourbe a pratiquement disparu des produits commercialisés par Ricoter Préparation de Terres SA. On ne trouve plus de la tourbe baltique que dans les terreaux de pépinières et de plantations. Beat Sutter en est certain : « La tourbe est révolue. » Le paillis d’écorces est encore composé à 95 % de bois d’épicéa. Si ce bois venait à se raréfier en raison du réchauffement climatique, il faudrait utiliser un autre bois et investir dans la recherche, car chaque essence a des qualités différentes.
La cuisine des terreaux
Jeannette Erb, Ricoter« En fait, nous sommes ici dans une grande cuisine. »
Des quantités impressionnantes de matériaux de toutes sortes destinés aux substrats sont stockées dans l’enceinte et dans les halles du site de Frauenfeld. Les andains de compost d’écorces sont régulièrement retournés et déplacés selon le degré de maturité. Au fond de la surface de stockage se trouvent les andains de compost plus frais, et devant, ceux qui pourront bientôt être utilisés. A l’intérieur des andains, la température peut monter jusqu’à 90° C. En tournant le dos aux tas de compost, on voit une grande quantité de balles de fibres de coco, et à l’arrière, les boxes contenant d’autres matières premières telles que des pierres concassées, de l’argile expansée, des granulés de pierre volcanique, des adjuvants fertilisants et bien plus encore. « Nous sommes en fait ici dans une grande cuisine », décrit J. Erb en regardant autour d’elle. Mais c’est la chargeuse sur pneus et non pas une grande cuillère qui fait le dosage. Les conducteurs de machine connaissent parfaitement les recettes et savent combien de mètres cubes des différentes matières doivent être ajoutés au mélange. Les terreaux finis sont mis dans des boxes avant d’être transportés au centre de la halle sur un tapis roulant automatique et conditionnés en sacs. En parcourant les longues rangées des boxes numérotés, on retrouve des notions familières telles que « terreau pour balcons et bacs » ou « terreau pour rhododendrons ». Mais le regard est attiré par le terreau vegan et le terreau neutre en CO 2 .
Pourquoi des terreaux spéciaux ?
Généralement, on peut utiliser un terreau universel, mais il faudra éventuellement investir davantage de temps pour l’entretien. L’avantage des terreaux spéciaux est qu’ils présentent déjà la composition optimale pour chaque type de plante et l’utilisation prévue. Le substrat fournit les éléments nutritifs appropriés pour le démarrage de la plantation. Le terreau pour balcons est conçu de manière à ce que la terre ne soit pas lessivée par l’arrosage. Les terreaux pour plantes en bac ont une structure qui prévient un tassement excessif et évite de devoir fréquemment rajouter du terreau.
Le futur est en marche
L’usine a produit du terreau vegan pour la première fois en 2017. « On s’est d’abord un peu moqué de nous, mais peu de temps après, beaucoup l’avaient intégré dans leur offre », se souvient B. Sutter. A la question de savoir ce que ce terreau a de spécial et (pour plaisanter) si on y trouve des vers de terre, on nous répond que ce sont les adjuvants, à savoir les fertilisants, qui font toute la différence. Dans les substrats non vegans, les farines de corne et matières similaires sont autorisées. Le terreau vegan est devenu entretemps presque un classique. Dans les installations d’ensachage, on est en train de tendre des rouleaux de tissu synthétique pour un tout nouveau produit, bientôt disponible dans le commerce : du terreau au bilan neutre en CO 2 . Ce substrat entièrement suisse est exempt de fibres de coco ou de tourbe, ce qui permet de raccourcir les distances de transport et de diminuer la production de CO 2 . Il contient même des composants actifs, comme du charbon végétal, qui lient le CO 2 . Les sacs euxmêmes sont faits à 80 % à partir de matériau recyclé. Les progrès dans la production vont se poursuivre, surtout sur le plan de l’écologie et de la durabilité. « Qui sait, peut-être exis-tera-t-il un jour du terreau avec un bilan CO 2 négatif », anticipe B. Sutter. Mais déjà maintenant, une chose est claire : le terreau se décline en de multiples variantes.
Abandon de la tourbe
La tourbe se forme dans les marais. Il s’agit d’une sorte d’humus composé de matière végétale en partie décomposée. Elle est intéressante en horticulture parce qu’elle peut emmagasiner beaucoup d’eau et que son pH est adaptable à toutes les exigences des plantes moyennant un chaulage approprié. L’extraction de la tourbe nuit cependant au climat et à la biodiversité. Depuis 1987, les marais suisses sont donc protégés et l’extraction de tourbe prohibée. On notera que la Suisse importe de grandes quantités de tourbe, raison pour laquelle le Conseil fédéral a adopté en 2012 un plan d’abandon de la tourbe. Celui-ci prévoit dans une première phase l’adoption de mesures volontaires par la branche et la signature d’une déclaration d’intention.