Semis ultra-précoce de l’orge d’automne
Les essais de la plate-forme d’Oberacker, près de l’Inforama Rütti dans le canton de Berne, représentent 20 ans de comparaison originale et très engagée entre labour et semis direct avec une permanence de 6 cultures chaque année. Oberacker représente plus de 130 implantations, gestions de cultures et récoltes sur la période dans chacun des systèmes: il s’agit d’une masse considérable d’informations qui permet, malgré le manque de répétition, d’apporter une relative sécurité au niveau des résultats techniques, agronomiques et environne men taux.
L’autre originalité de cette expérimentation réside dans l’intégration précoce de pratiques innovantes, dans le but d’optimiser les itinéraires en fonction des nouvelles connaissances. Le labour a ainsi été rapidement superficialisé. Il est conduit en hors-raie à moins de 15 cm depuis de nombreuses années et le semis est réalisé en direct sans reprise de sol. Les couverts Biomax avec des espèces gélives font également partie de la stratégie, quelles que soient les modalités, depuis près de 10 ans. La rotation, quant à elle, a été progressivement aménagée pour développer de bons enchaînements en vue de réduire l’usage des herbicides et du glyphosate.
La rotation pratiquée depuis 2007 est la suivante: pois-couvert végétal (CV)/blé d’automne-CV/féverole/ orge-CV/betterave sucrière-CV/maïs ensilage. Elle est relativement bien équilibrée avec deux légumineuses, trois cultures d’été dont une dicotylédone et une graminée en alternance avec deux céréales d’automne (blé et orge). L’ensemble des cultures est conduit en système extenso sans insecticide, fongicide ni régulateur de croissance; seul un désherbage chimique « light » est maintenu, voire un glyphosate si nécessaire. Depuis 2015, aucune implantation n’a reçu de glyphosate à l’exception de la variante « labour » pour y combattre le chiendent après la récolte de l’orge d’automne. Enfin et comme cette rotation comporte beaucoup de couverts végétaux, Wolfgang Sturny et son collègue Andreas Chervet du Service de la protection des sols du canton de Berne ont étudié depuis près de 10 années le concept de semis précoces de céréale notamment pour l’enchaînement féverole/orge qui a été mis en place pour faciliter, entre autres, cette approche.
Garder l’azote après les féveroles
Après la récolte et vers la fin août, on a observé que la parcelle de féverole pouvait monter jusqu’à 70 kg de N/ha de reliquats, mais qu’une grande partie risquait d’avoir déjà disparu en octobre, au moment du semis des céréales, auxquels pouvait venir s’ajouter la minéralisation de septembre. L’orge est par ailleurs la céréale la plus exigeante en azote précoce en automne. C’est d’ailleurs pour cette raison que la rotation a été modifiée, pour que l’orge succède à la féverole et que le blé suive le pois.
Et le semis précoce de blé ?
A la vue des résultats encourageants sur l’orge, il est évident que l’équipe d’Oberacker à rapidement envisagé la même stratégie en blé. En 2006, les dégâts de gel sur épis ont légèrement refroidi l’équipe d’Oberacker. « Sur le Plateau suisse nous pouvons avoir des arrières saisons assez chaudes qui poussent la végétation et la culture de blé nous semble un peu moins bien adaptée », précise Wolfgang Sturny. Il faut également rappeler que les pois, le précédent dans cette rotation, sont récoltés souvent plus d’un mois avant la féverole (début juillet) et que 10 semaines laissent le temps de réaliser un excellent couvert d’été, sans risques. Le semis du blé a donc été raisonnablement repoussé à fin septembre aujourd’hui. Malgré cela et surtout depuis l’introduction du broyage qui est un outil de régulation très efficace, l’équipe d’Oberacker envisage très sérieusement de perpétuer l’itinéraire blé précoce.
Pour éviter de positionner un couvert végétal supplémentaire, pourtant utile malgré une période trop courte, l’orge est semée immédiatement après la récolte de la féverole depuis 2008. Que ce soit dans l’option labour ou semis direct, aucun herbicide n’est appliqué lors du semis. Seul un programme classique et identique, quelle que soit la modalité de travail du sol, est généralement positionné à la fin octobre sans aucun rattrapage au printemps.
Au départ, les densités de semis ont été fortement réduite pour descendre jusqu’à 100 grains/m 2 . En 2016 la densité avait été légèrement revue à la hausse avec 140 grains/m 2 et pour les semis 2017, elle a été remontée à 230 grains/m 2 ; densité légèrement inférieure à une densité normale en période de semis conventionnelle à fin septembre.
Plantes compagnes et économie de désherbage
Le volume de végétation pendant l’hiver 2015/2016 atteste du niveau des reliquats post récolte de la féverole, mais aussi du potentiel de perte par lessivage même en SD si l’implantation de l’orge était réalisée normalement et sans couvert d’interculture. Outre le fait d’aider à capter plus rapidement l’azote résiduelle et d’augmenter la production de biomasse, la féverole permet également de faire entrer par fixation encore quelques unités d’azote supplémentaires sans risque de compétition avec la céréale sur cette ressource. Le broyage d’automne qui a été introduit à l’automne 2016 est cependant un levier très important qui a permis de sécuriser cet itinéraire technique à la fois original et extrêmement efficient. Il permet aujourd’hui de réguler la végétation et d’éviter des montées en épis, il « nettoie » la parcelle et permet une reprise plus homogène au printemps. Enfin, il accélère le recyclage de la fertilité captée dans la végétation pour une dynamisation de l’activité biologique et une meilleure valorisation au printemps.
Oberacker
Le semis est toujours réalisé immédiatement après la récolte de la féverole, quelle que soit la date de celle-ci, pour éviter un glyphosate et limiter le développement du salissement à l’automne. La levée rapide de la céréale à cette époque permet de prendre de vitesse beaucoup d’adventices, en particulier les dicotylédones avec ce type de précédent. Les graminées d’automne, quant à elles, n’arriveront que plus tard alors que l’orge est bien établie et très concurrentielle. Les repousses de féveroles s’installent en revanche très bien, en SD comme en labour et fournissent un bon complément de végétation en tant que plantes compagnes.
« Nous observons l’orge et déclenchons le broyage avant un risque de montaison mais aussi pour limiter la concurrence de la féverole qui souvent dépasse la céréale, surtout en labour (minéralisation supplémentaire) », explique W. Sturny. « Généralement, par la suite, les températures baissent, les premiers gels arrivent et les plantes rentrent dans le calme végétatif de l’hiver », complète W. Sturny. « À l’issu de ce passage, le tapis de résidus recouvre le sol, fait écran aux mauvaises herbes en place, freine l’installation de nouvelles adventices et vient nourrir l’activité biologique à l’entrée de l’hiver afin de commencer à recycler la fertilité pour le printemps ».
Cette stratégie, qui s’appuie sur un enchaînement adapté, permet de se passer de glyphosate et de limiter le désherbage (seulement si nécessaire) à un seul passage à l’entrée de l’hiver, malgré un semis ultra précoce. Dans ce cas, il faut attendre au moins 10 jours après le broyage pour que les plantes se régénèrent (pour éviter de la phytotoxicité).
Pas de soucis de pucerons et des gains de précocité
« Jusqu’à ce jour nous n’avons jamais eu de soucis de pucerons et de jaunisse sur l’orge », déclare Wolfgang Sturny. Le choix de la variété d’automne « Semper » explique peut-être cela mais l’association avec la féverole est certainement un complément important comme nous le constatons pour les insectes d’automne en colza. Ensuite il ne faut pas sous-estimer l’effet de « brouillage » des habitudes écologiques par un semis ultra précoce avec des stades à risque très avancés mais également très courts en cette saison. Même si aucune étude n’a apporté d’explication réelle, les 10 années de semis précoce apportent cependant une certaine assurance et validation. Pour ce qui est de la gestion de la fertilisation, le système est calé sur la modalité labour. Aucune localisation au semis n’est apportée. Malgré des contraintes techniques, les rendements sont tout de même très honorables pour un système « extenso ». En 2017, ils ont été de 69 q/ha en labour et 61,5 en SD (en fertilisation classique).
AuteurFrédéric Thomas, Revue TCS (Techniques Culturales Simplifiées), France
Photoscollaboratrices et collaborateurs du Service phytosanitaire & du Service de la protection des sols du canton de Berne
Clichés actuelssous www.be.ch/ Bodenschutz dans le registre «Etat des sols» et sous-registre «Parcelle de suivi à long terme «Oberacker»»