Quand il n’y a pas de repreneur·euse dans la famille, l’exploitation cesse son activité. En pareil cas, les familles doivent peser les avantages et les inconvénients d’une vente en bloc ou d’une mise en fermage. Souvent, le désir de pouvoir continuer à vivre à la ferme joue un rôle dans la réflexion, si bien que seules les terres sont mises en fermage ou vendues. Quelle que soit la variante choisie, il faut veiller aux divers aspects juridiques en jeu et comparer les différences sur le plan fiscal (voir tableau).
La vente de l’exploitation ou de certaines de ses parties se solde par un bénéfice en capital soumis à l’impôt sur le revenu.
Estimer tôt les conséquences fiscales
La vente de l’exploitation ou de certaines de ses parties se solde par un bénéfice en capital soumis à l’impôt sur le revenu. Ce bénéfice naît quand le produit de la vente excède la valeur fiscale. Et si le prix de vente est supérieur aux frais d’investissement, il en résulte un gain immobilier supplémentaire, également soumis à l’impôt. Depuis 2011 (2 e réforme de l’imposition des entreprises), les bénéfices en capital peuvent être privilégiés, c’est-à-dire imposés à un taux spécial séparément des autres revenus. Pour que l’exploitant·e puisse profiter de ce traitement, la cessation de l’activité agricole doit découler d’une invalidité ou être effective à partir de l’âge de 55 ans, et il doit s’agir d’un arrêt définitif de l’activité indépendante.
En cas d’affermage en bloc ou par parcelles, un éventuel bénéfice en capital n’est la plupart du temps pas imposé officiellement. Le transfert dans la fortune privée est généralement réalisé uniquement à la demande de l’assujetti·e. En se basant sur un arrêt du Tribunal fédéral, certains cantons considèrent la mise en fermage comme un arrêt définitif de l’activité indépendante. En conséquence, il n’est possible de faire valoir une imposition privilégiée du bénéfice de liquidation qu’au moment de la mise en fermage et plus ultérieurement. Il faut notamment veiller à cette particularité si l’exploitation est poursuivie par un·e conjoint·e plus jeune pour des raisons liées aux paiements directs.
Difficultés pour les personnes en reconversion professionnelle
Les exploitations agricoles en vente sont très recherchées. Les personnes intéressées sont soit des fils ou filles de paysans qui ne peuvent reprendre l’exploitation familiale ou des personnes qui souhaitent se lancer dans l’agriculture. Comme les ventes hors de la famille sont réalisées à la valeur vénale, le prix d’un domaine atteint vite 2 millions de francs ou davantage. Or, en raison de la limite de charges, le financement par une hypothèque est limité et le dépassement de la limite n’est possible qu’avec une autorisation cantonale.
Depuis 2023, les personnes qui souhaitent se lancer dans l’agriculture peuvent elles aussi profiter de prêts d’investissement sans intérêts.
Depuis 2023, les personnes qui souhaitent se lancer dans l’agriculture peuvent elles aussi profiter de prêts d’investissement sans intérêts. Les montants peuvent même être augmentés si l’exploitation est affermée durant les douze mois précédant son acquisition. Mais comme cet argent doit être remboursé relativement vite, la question de la capacité à assumer la charge plutôt que celle du financement est un véritable nœud gordien pour les personnes concernées.
Depuis 2014, le service de contact pour la remise de fermes extra-familiale, affilié à l’association des petits paysans, met en relation les cédants et les repreneurs (www.remisedeferme.ch).
Se lancer dans l’agriculture : une question de patience et de doigté
Qu’est-ce qui vous a motivés à vous lancer dans l’agriculture ?
Jasmine Lernpeiss : Le métier d’agricultrice et d’agriculteur est un des plus diversifiés qui soient. On produit des aliments en étant responsable du sol et de la nature. Ici, nous voulons préserver une magnifique petite ferme pour les générations futures et apporter notre contribution à une agriculture durable, innovante et diversifiée.
Comment vous êtes-vous préparés à cette tâche ?
J. Lernpeiss : J’ai suivi la formation professionnelle en agriculture biodynamique et suis titulaire d’un CFC d’agricultrice bio. Pendant ma formation et ensuite, j’ai travaillé dans plusieurs exploitations œuvrant dans un contexte social.
Armin Schmidlin : Je suis horticulteur-paysagiste, j’ai grandi dans une exploitation agricole et depuis tout petit, j’aide aux travaux de la ferme. Je connais bien les machines et avec Jasmin, j’ai suivi le cours d’agriculture régénérative chez Friedrich Wenz. Nous appliquons nos connaissances sur notre exploitation petit à petit.
Comment avez-vous connu le vendeur, Werner Hofer ?
J. Lernpeiss : Nous avons visité une maison à proximité. En nous promenant, nous sommes arrivés devant la ferme et nous sommes sentis très attirés par l’endroit. Nous avons donc écrit une lettre à Werner. Elle a marqué le début de notre parcours commun.
Werner, comment cette prise de contact s’est-elle passée pour vous ?
Werner Hofer : J’étais très soulagé. J’ai vécu dans cette ferme pendant 70 ans et l’ai exploitée. Célibataire sans enfants, je savais que la vente à des gens de l’extérieur serait le seul moyen de préserver mon petit domaine.
La vente par parcelles n’était pas une option ? Vous auriez ensuite pu continuer à vivre à la ferme pour pas cher…
W. Hofer : La maison d’habitation n’est pas conçue pour y vieillir. Et faute de perspectives, je n’ai pas beaucoup investi dans le bâtiment. Comme je suis indépendant, les réflexions financières n’étaient pas prioritaires. J’ai assez pour vivre.
Que projetez-vous de faire désormais avec le domaine de Werner Hofer ?
J. Lernpeiss : Notre premier objectif est de favoriser la production d’humus. Sur cette base, nous souhaitons développer une ferme diversifiée, avec de la vente directe (légumes, petits fruits, herbes aromatiques, viande), de l’agriculture solidaire, des aspects sociaux et de nombreux magnifiques produits transformés de la ferme. Chaque domaine est unique et nous voulons promouvoir et préserver cette diversité.
Quels ont été vos principaux problèmes jusqu’ici ?
A. Schmidlin : Le plus gros problème, c’est la législation sur l’aménagement du territoire. Nous trouvons qu’elle est importante, mais elle complique l’émergence d’une agriculture innovante et durable. Pour notre exploitation de vente directe, nous avons besoin d’une infrastructure moderne et conforme à la loi.
Que conseillez-vous aux personnes qui veulent suivre votre voie ?
J. Lernpeiss : Il faut du temps. Du premier contact jusqu’à la reprise du domaine, il nous a fallu 6 ans. La remise extra-familiale d’un domaine est un processus personnel chargé d’émotion pour le cédant. Nous avons développé ensemble une approche respectueuse et parlé ouvertement de tout avec Werner.
A. Schmidlin : Un réseau de vulgarisation est aussi très précieux. Plus on l’intègre tôt, plus on bénéficie de soutien. Il est également important d’inclure les services cantonaux dès le début du processus.