Un sentier pédestre qui passe au beau milieu de la cour d’une ferme, voilà qui pourrait être ennuyeux pour les propriétaires. Même si cela n’entrave pas le travail, ces derniers sont constamment exposés aux regards indiscrets lors des beaux jours. D’aucuns pourraient remédier à la situation notamment avec un chien qui s’accrocherait aux talons des marcheurs·euses en quête de détente, afin de les empêcher de revenir. Cependant, on peut aussi transformer le problème en opportunité, à l’instar d’Andreas Kindlimann, agriculteur dans l’Oberland zurichois : « Nous mettons le chemin pédestre à profit pour vendre les produits de la ferme. »
Son exploitation laitière de 37 hectares est certes isolée, mais par beau temps, des foules de promeneurs·euses partent depuis devant chez lui pour se rendre à l’alpage de Farneralp, où un restaurant et un panorama à couper le souffle les attendent. Le chemin passe entre les bâtiments de l’exploitation et directement devant le magasin de la ferme. Désormais, l’exploitation familiale réalise ainsi un tiers de son chiffre d’affaires.
Markus Rediger, Service d’information et de communication agricoles (LID)« S’agissant de l’agriculture, la population suisse s’exprime à travers les urnes. »
Le contact comme vecteur d’adhésion
En rentrant de leur excursion, les randonneurs·euses mettent un point d’honneur à s’approvisionner en produits de la ferme. Les activités permettant aux agriculteurs·trices d’entrer en contact avec la population sont également encouragées par le Service d’information et de communication agricoles (LID). En effet, selon Markus Rediger, son directeur, cultiver une tradition d’accueil à la ferme contribue à mieux faire accepter la profession dans son ensemble. Il conseille ainsi aux chef·fes d’exploitation de garder en tête la portée politique de cet effort : « S’agissant de l’agriculture, la population suisse s’exprime à travers les urnes. » Seuls des consommateurs·trices bien informés peuvent se forger leur propre opinion et ne pas se laisser influencer par des gros titres négatifs.
Les discussions inscrites au budget
Les relations publiques font partie du marketing d’une entreprise, parmi lesquelles Markus Rediger compte aussi les exploitations agricoles. « Avec les paiements directs, le revenu des exploitations est certes en partie assuré, mais les agriculteurs·trices doivent aussi sans cesse se justifier », rapporte le spécialiste en communication.
Dans les milieux économiques, on estime que le budget consacré aux activités de communication et de marketing représente environ 2 à 4 % du chiffre d’affaires, soit quelques milliers de francs pour une exploitation agricole de taille moyenne. Ce montant ne comprend pas seulement les dépenses publicitaires pour les différents produits et services, mais aussi le temps consacré à discuter avec la clientèle ou les randonneurs·euses.
Les agriculteurs·trices qui ne veulent pas laisser le contact avec le public au seul hasard ont la possibilité de participer aux nombreux événements proposés par l’Union suisse des paysans (USP) pour perfectionner leur communication de base. Par ailleurs, les panneaux, des poteaux ou des affiches le long des prairies, des pâturages ou des champs permettent déjà de se rapprocher du grand public à moindre coût (voir tableau en fin).
Andreas Kindlimann, agriculteur« Quand on sait comment une escalope de veau est produite, on est prêt à la payer à un prix équitable. »
Un sentier découverte pour informer
Andreas Kindlimann se fait lui aussi davantage entendre grâce aux projets « Visites d’étable » ou « L’école à la ferme » : « Quand on sait comment une escalope de veau est produite, on est prêt à la payer à un prix équitable. » Lors de ses échanges avec les visiteurs·euses (les petits comme les grands), il s’est aperçu que certaines questions revenaient souvent et a décidé de répondre à ce besoin d’information.
A la grande table de la salle à manger, il ouvre un dossier noir et en sort des dessins faits à la main représentant le « Chrinneschaagi ». Ce personnage, qui incarne son arrière-grand-père, illustrera les panneaux de son sentier découverte, grâce auquel l’agriculteur bio souhaite encore mieux valoriser le chemin pédestre. Le personnage décrit la vie paysanne d’autrefois dans la région du Chrinnenberg, tout en abordant des sujets d’actualité tels que le climat, l’économie alpestre, la destruction des surfaces agricoles ou le gaspillage alimentaire.
Place à la communication
Ce personnage ne vise pas seulement à attirer et à informer le public, mais aussi à stimuler le chiffre d’affaires du magasin de la ferme. Compte tenu de la charge de travail dans l’agriculture, l’engagement d’Andreas Kindlimann peut surprendre. Il a passé au moins 500 heures à réfléchir au concept et à peaufiner les textes, a engagé une illustratrice ainsi qu’une graphiste et contacté l’office du tourisme et les restaurateurs·trices de la région ; il s’est encore occupé de la demande de permis de construire.
Pour beaucoup d’autres exploitations, un tel investissement aurait été démesuré. Selon l’Office fédéral de la statistique, le temps de travail hebdomadaire moyen des chef·fes d’exploitation atteint 66 heures, ce qui ne laisse pas une seconde pour penser aux relations publiques. La part des exploitations qui s’engagent dans le cadre de la communication de base de l’USP et du LID est donc faible, avec à peine 10 %, comme le montrent les chiffres du LID. Selon Markus Rediger, il s’agit principalement d’exploitations qui tirent un profit direct du travail de relations publiques.
Réaliser ses visions
Andreas Kindlimann peut s’offrir le luxe d’un sentier découverte parce qu’il a optimisé son concept d’exploitation en fonction du site. Ainsi, il explique : « Lorsque j’ai repris la ferme il y a dix ans, j’ai investi au fur et à mesure dans de nouveaux bâtiments et dans l’organisation du travail. » Pendant l’hiver, quatre à cinq heures de travail suffisent pour traire et soigner les animaux. L’agriculteur dédie le reste de son temps au développement de son exploitation.
Au vu des investissements pour le sentier découverte, il devra toutefois vendre de grandes quantités de pots de confiture, de sachets de pâtes ou de viande. Interrogé à ce sujet lors de la visite de la Revue UFA, il explique : « Pour moi, le contact avec les gens est un réel besoin : il me fait plaisir et valorise mon travail quotidien. » Il a, par ailleurs, déjà rempli le nouveau congélateur du magasin de la ferme de glaces maison.