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Production végétale

Protéger les sols de la chaleur, un impératif crucial

Vagues de chaleur et périodes de sécheresse fréquentes, suivies par de fortes précipitations : les sols agricoles sont mis à rude épreuve. Un projet teste les méthodes qui protègent le mieux ces derniers des phénomènes météorologiques extrêmes et garantissent leur fertilité. La température du sol joue sur ce plan un rôle surprenant.

Les températures de surface, influencées par la couverture du sol, montrent des îlots de chaleur et de fraîcheur et servent d'indicateurs pour la santé...

Les températures de surface, influencées par la couverture du sol, montrent des îlots de chaleur et de fraîcheur et servent d'indicateurs pour la santé des sols et la rétention d'eau (mesurées à Frienisberg le 19.08.2023).

(Hanspeter Liniger und Jovana Askrabic)

Publié le

Spécialiste sciences naturelles, Université de Berne

Ingénieure agronome indépendante, Belgrade

En bref

– Les pâturages permanents et les sols cultivés en semis direct avec des cultures dérobées réduisent le ruissellement et l’érosion.

– Les sols nus s’échauffent fortement, ce qui nuit aux organismes vivants du sol et péjore la structure de ce dernier.

– En l’absence d’agrégats de sol stables, le ruissellement de surface et les pertes de nutriments augmentent.

Nos surfaces agricoles sont de plus en plus souvent confrontées à la sécheresse, aux vagues de chaleur et aux fortes précipitations. Quelques pratiques agricoles aident à lutter contre leurs conséquences, alors que d’autres aggravent la situation. Dans le cadre du projet « Heisse Erde ist nicht cool» (« Un sol chaud, c’est pas cool »), des chercheurs·euses testent les pratiques agricoles qui protègent le mieux les sols et le paysage des conditions météorologiques extrêmes et préservent à long terme leur fertilité.

Ce qui se passe lors de fortes pluies

Que se passe-t-il lorsque différents types de sols sont soumis à de fortes précipitations ? Pour le savoir, les chercheurs·euses ont analysé dans une même région des surfaces agricoles utilisées selon quatre modalités diverses. A cet effet, ils ont prélevé une couche de 7 cm dans la couche supérieure intacte du sol. Les échantillons ont été placés sur des tablettes perforées posées sur deux rangs de cylindres de verre dans des tiroirs métalliques et arrosées avec un simulateur de pluie (avec intensité de 40 mm). Soit l’eau s’écoulait en surface dans le 1 er rang de cylindres, soit elle était retenue plus longtemps et s’infiltrait dans le 2 e rang. Ont ainsi été mesurés le volume d’eau de ruissellement, la quantité de sol érodé (sédiments) et le volume d’eau d’infiltration.

Sol nu et exposé, rétention moindre

Pour les sols nus et récemment labourés, travaillés à la herse rotative (ou autre machine entraînée à la prise de force), environ la moitié de l’eau dans le simulateur s’est échappée. Dans la réalité, la pluie entraîne de la terre, des engrais et des produits chimiques qui parviennent dans les eaux. Ainsi, le sol labouré laissé nu a perdu 46 % des précipitations et 18 t de terre par ha ; quant au sol couvert d’un lit de mulch, même lui a perdu 57 % des précipitations et 9 t de terre par ha. Ces deux sols avaient préalablement fait l’objet d’un travail du sol et été exposés au soleil et à la pluie. S’agissant du sol travaillé à la herse rotative, il a même produit de plus faibles résultats en raison d’une exposition accrue aux perturbations mécaniques et à une couverture de mulch insuffisante.

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Simulateurs de pluie (types de sol de gauche à droite) : (1) pâturage permanent, (2) sol nu après travail du sol, (3) semis sous litière, (4) sol avec semis direct sans travail du sol et culture dérobée de deux semaines.

(Hanspeter Linger et Jovana Askrabic)

La sécheresse succède souvent aux inondations.

Chaque couverture du sol est utile

La simulation le démontre : les inondations et la sécheresse se manifestent souvent conjointement, les sols avec couvert insuffisant ne pouvant absorber ou retenir l’eau. Dans les herbages permanents et les terres cultivées en semis direct, le ruissellement a été réduit (seul. 6,6 % et de 14,6 % resp.) ; ceux-ci n’ont pas perdu de terre et ont absorbé pratiquement la totalité de l’eau. Dans l’environnement naturel, cette pluie se serait diffusée vers le bas et aurait rempli d’abord les capacités de stockage du sol, puis les aquifères. Une couverture (notamment végétale vivante) a permis de protéger de la battance les sols colonisés par des racines ainsi que de réduire le ruissellement et donc l’érosion. L’état de la surface du sol n’est pas le seul facteur décisif.

 

L’importance d’une structure stable

Les microbes du sol et les racines sont cruciaux pour stabiliser la structure de la couche supérieure. Les racines nourrissent les microbes en leur fournissant des sucres en échange d’eau et de minéraux. Les substances adhésives produites par les microbes tiennent les particules de terre ensemble, créant des structures stables (agrégats) et formant des espaces (macropores) qui permettent à l’eau de s’infiltrer et s’écouler vers le bas. Au contact de l’eau, les structures stables restent intactes, alors que celles qui sont instables se désagrègent. Les propriétés du sol (p. ex. type d’argile, pH et matière organique) influent certes sur la stabilité, mais ce sont les pratiques agricoles qui sont primordiales ici, comme le montre un test de stabilité des agrégats, où la terre descend à travers un jeu de 7 orifices de taille décroissante. Plus celle-ci parvient bas, moins le sol est stable, comme c’est le cas sur une terre labourée nue, au contraire des herbages permanents ou terres cultivées en semis direct. Quand la structure du sol est faible, les macropores avec des particules désagrégées se bouchent, ce qui réduit voire bloque l’infiltration de l’eau, entraînant une fois de plus un ruissellement et des dégâts d’érosion. Les labours ou décompactages fréquemment réalisés perturbent les organismes vivants du sol et lorsque les plantes qui recouvrent ce dernier sont éliminées, on retire l’eau et la nourriture à ces organismes importants. Cependant, les sols nus présentent encore d’autres inconvénients.

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Test de stabilité des agrégats (de gauche à droite) : Frienisberg (BE), prairie (stabilité élevée), sol labouré nu (stabilité réduite) et culture dérobée en semis direct (stabilité élevée) ; sol labouré en Espagne (stabilité très faible).

(Hanspeter Linger et Jovana Askrabic)

 

Quand la terre arable chauffe

Durant l’été, un sol nu est exposé au rayonnement solaire. Des essais réalisés en 2023 et en été 2024 en Suisse et dans la zone méditerranéenne ont produit des résultats surprenants : des sols labourés sans couvert végétal étaient plus chauds que l’asphalte. Pourquoi ? Parce que l’asphalte et le béton sont de meilleurs conducteurs thermiques (déplaçant la chaleur vers l’intérieur), alors que les terres arables possèdent des pores remplis d’air qui ont un effet isolant et déplacent moins bien la chaleur vers l’intérieur. La surface se réchauffe alors plus. Une litière « morte » laissée en surface chauffe aussi, mais dans les essais, les températures max. de la couche supérieure étaient plus faibles (15 à 20° C de moins), restant ainsi inférieures à 40° C. Une couverture végétale vivante du sol (p. ex. engrais vert) maintient les températures encore plus basses. Les couverts contribuent donc grandement à réduire le stress thermique des organismes vivants du sol. Force est de constater que les températures des sols et leurs variations extrêmes jouent un rôle important (et trop négligé) pour stabiliser leur structure.

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Les champs ouverts non végétalisés se réchauffent davantage, ce qui peut être mis en évidence par une caméra thermique, ici à Friniesberg (été 2023).

(Hanspeter Linger et Jovana Askrabic)
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Une vue aérienne des surfaces de Frienisberg BE, été 2023. En comparaison, au-dessus la même surface en image thermique.

(Hanspeter Linger et Jovana Askrabic)

Un sol labouré laissé nu devient plus chaud que l’asphalte.

Récoltes moindres et engrais accrus

Des prises de vue par drone réalisées à la fin août 2024 en Suisse montrent des différences frappantes de la température de la couche superficielle dans des parcelles voisines. Une surface nue n’est pas seulement plus chaude et desséchée qu’un champ végétalisé, mais elle augmente aussi la température de l’air. Des essais à ce propos sont en cours en Suisse, mais aussi dans la zone méditerranéenne, où les événements climatiques extrêmes sont plus marqués. Durant l’été, la Suisse pourrait d’ailleurs connaître à l’avenir des conditions similaires en raison des changements climatiques à l’œuvre. Sans une structure solide, le sol sera mal armé pour y faire face. Il contiendra en effet moins d’eau, si bien qu’après une période de sécheresse, les récoltes souffriront et la production faiblira. De fortes précipitations accroîtraient par ailleurs le ruissellement et, par conséquent, la perte d’éléments nutritifs et de terre arable fertile, ces derniers devant être remplacés par d’onéreux engrais. Dans un tel cas de figure, les eaux souterraines ne seraient pas reconstituées et d’autres répercussions se manifesteraient, lesquelles ne se limiteraient pas qu’au lieu concerné : des dommages aux champs voisins et aux infrastructures ainsi que des risques accrus d’inondation des routes et des habitations sont vraisemblables ; la hausse de la teneur des eaux en nitrates et en phosphore dégraderait la qualité de celles-ci.

Les problèmes peuvent être résolus

Refroidir la surface, p .ex. au moyen d’un couvert végétal vivant (avec racines), est une approche prometteuse pour améliorer le climat local, préserver la structure du sol et favoriser la santé de celui-ci et le cycle de l’eau. L’été surtout, le sol devrait être couvert par une culture (dérobée ou non) ou un engrais vert. Il faut mieux sensibiliser l’agriculture, la vulgarisation et le public, un impératif crucial pour encourager la végétalisation du paysage à visée productive et protectrice, pour le bien de tous.

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