Alpagiste pour un temps
Outre le travail physique, l’alpage offre une foule d’opportunités aux jeunes. Ils peuvent par exemple y accumuler des expériences sur ce qui compte vraiment dans la vie, à savoir apprendre à mieux se connaître, à oublier le stress du quotidien, à vivre à un rythme plus équilibré et à être heureux. Les personnes qui travaillent pour la première fois à l’alpage apprennent aussi à vivre selon un mode d’existence originel. La vie à l’alpage ressemble encore beaucoup à celle qu’y menaient nos ancêtres il y a quelques siècles.
Cela accroît la compréhension et l’admiration pour une tradition qui est parvenue à créer une base d’existence dans ce rude univers herbager implanté au milieu des falaises, en produisant des denrées comme le lait, le fromage et la viande. Mais attention: certaines personnes développent une « dépendance à l’alpage ». Ce « virus de l’alpage » incite les gens à vouloir y revenir pour y revivre la tranquillité majestueuse du monde montagnard qu’ils préfèrent à la vie trépidante de la plaine, la pureté de la nature et le travail exigeant avec les animaux qui les éreinte parfois physiquement. Toutes les contraintes qui découlent de la vie à l’alpage ne les empêchent cependant pas de s’en lasser.
Qu’est-ce que l’alpage vous a appris ?
Katharina Afflerbach: « Je me suis tout d’abord aperçu qu’à l’alpage on ne passe pas beaucoup de temps à discuter. Et que l’on a toujours besoin de beaucoup de main-d’œuvre. Il y a une priorité: les animaux. Mais c’est la météo qui dicte le programme. L’objectif de travail est toujours clair: il faut sortir les fumiers, réparer les clôtures, nourrir et traire les animaux. Sachant cela, il n’est pas important de savoir qui fait quoi, car à l’alpage aucun travail n’a plus de valeur qu’un autre ou est moins considéré qu’un autre. Dans ma vie professionnelle, je n’ai jamais assisté à un meilleur travail d’équipe qu’à l’alpage. Cela était sûrement dû au fait que chacun est vraiment responsable. Les nouvelles situations imprévues impliquent de s’adapter immédiatement. Lorsqu’une génisse manque à l’appel par temps de brouillard et que l’on constate que la clôture est cassée, il ne faut pas tergiverser: il faut se concentrer et agir immédiatement. »
Faire une pause à l’alpage
La nature, les fondues au fromage et les couchers de soleil fantastiques faisaient déjà rêver Katharina Afflerbach depuis qu’elle passait ses vacances en tant que touriste dans le district fribourgeois de la Sarine, dans la région du Gantrisch. Depuis douze ans, la vie de cette cheffe d’entreprise active dans le tourisme et originaire d’Eichen bei Kreuztal en Allemagne était rythmée par d’innombrables réunions, conférences téléphoniques et autres voyages professionnels. Pour se reposer, Katharina Afflerbach se rendait chaque année dans les Alpes. Ayant choisi de devenir indépendante, elle décida de vivre auparavant pendant quatre mois la vie rude des alpagistes. Pour un été, l’alpage de Salzmatt de la famille Aeby dans le canton de Fribourg est devenu son centre de vie.
Luxe modeste
Agée de trente ans, Katharina Afflerbach savait déjà ce qui l’attendait sur l’alpage. L’été précédent, elle avait en effet effectué un stage agricole dans un village de montagne dans le sud du Tirol. Les premières semaines passées à Salzmatt n’en furent pas moins assez rudes. « J’ai appris à vivre dans un monde totalement différent, à savoir celui du travail physique pénible », explique Katharina Afflerbach. « Cela ne signifie pas pour autant que l’on arrête de penser. Il s’agit plutôt de réfléchir et de se concentrer sur moins de choses. »
Cette passionnée d’alpage sait néanmoins qu’elle a eu un mode de vie privilégié au chalet de Salzmatt. Equipé de l’électricité et bénéficiant d’un accès goudronné pour les véhicules, le chalet situé à 1640 m d’altitude est en effet moins austère que d’autres chalets d’altitude. Ses habitants y disposent même d’un certain luxe, comme du pain frais, de l’eau chaude et, par beau temps, d’un bon réseau téléphonique.
Travailler avec les animaux
La famille Aeby monte généralement à l’alpage avec 20 chèvres, cinq génisses et cinq veaux. En plus de cela, la famille Aeby s’occupe d’une centaine de génisses appartenant à d’autres agriculteurs.
Le lait des vaches est transformé en Mutschli et en Vacherin dans une fromagerie des environs. La famille Aeby produit son propre fromage de chèvre. Katharina Afflerbach était chargée de la traite, du lavage des ustensiles de traite, de l’évacuation des fumiers, de l’alimentation des veaux, de la préparation du bois de feu ainsi que du contrôle des bassins et des clôtures. La jeune cheffe d’entreprise a également donné des coups de main dans la buvette du chalet, qui accueille notamment des adeptes de VTT. Katharina Afflerbach préférait le travail à l’extérieur avec les animaux, dans le superbe écrin alpestre, qui lui donnait l’occasion de faire de l’exercice physique. La phase d’acclimatation a été assez difficile. C’est au niveau des jambes que les conséquences de cette activité physique accrue ont été les plus importantes, les efforts consentis pour monter et descendre dans les pentes se manifestant alors le soir. Une fois cette phase de stress physique surmontée, les choses se sont améliorées: « J’ai été fascinée de la rapidité avec laquelle mon corps s’est adapté », explique-t-elle. A force de faucher, de scier, de sortir les fumiers et de traire, Katharina Afflerbach s’est ainsi musclé les bras.
Des expériences précieuses
La vie à l’alpage va de pair avec certaines contraintes: se réveiller à la lueur du jour, vivre une existence rude et authentique sans télévision, sans restaurants et sans Internet notamment. Bref une vie exempte de luxe mais où l’on est par contre plus libre d’organiser son temps et son travail à sa guise. « Le travail avec les animaux revêt une forte connotation émotionnelle. On reçoit beaucoup en retour de leur part. Il en va de même en ce qui concerne les propriétaires des génisses lorsqu’ils récupèrent leur jeune bétail et que ce dernier a été bien soigné. Bien qu’ils soient souvent assez avares en remerciements, voir les yeux des éleveurs qui s’illuminent au moment de reprendre leurs animaux fait oublier les quelques moments difficiles qui ont jalonné la saison à l’alpage. »
Pour Katharina, ses quatre mois sabbatiques passés à l’alpage furent une bonne décision et elle est très heureuse des expériences vécues. Les paysans de montagne montrent qu’il est possible d’avoir une vie heureuse et de réussir sans disposer de moyens importants, loin des contraintes imposées par le monde extérieur et des soi-disant impératifs de la civilisation Internet.
Auteur
Karl Horat, journaliste agricole SAJ
Photos
màd