Dans un grondement assourdissant, un A380 accélère sur la piste de décollage de l’aéroport de Zurich. Le bruit s’évanouit tandis que l’avion s’élève et disparaît rapidement dans le ciel. A quelques kilomètres, un petit troupeau de camélidés reste de marbre face à tout ce raffut. Leur pâturage appartient au domaine de Ben’s Kamelfarm, à Oberglatt.
Racines bédouines
Kamel Ben Salem, que tout le monde appelle simplement Ben, est arrivé en Suisse en 2000. D’origine tunisienne, il est né dans une famille de Bédouins. A son arrivée en Suisse, il s’associe d’abord avec une agence de voyages et organise des treks à dos de dromadaire. Dès 2003, la guerre d’Irak paralyse toutefois le tourisme vers les destinations qu’il propose. Ben décide donc de mettre à profit ses connaissances des camélidés et de l’élevage. Ce citoyen à la double nationalité crée en 2004 sa ferme des chameaux à Schleitheim (SH). En 2011, il s’installe à Oberglatt. Lors de notre visite, il nous raconte le sourire aux lèvres : « Quand je suis venu au monde, ma mère est la première chose que j’ai vue. La seconde est un dromadaire. »
Dépaysement garanti
Quand les portes de la ferme sont ouvertes, un parfum digne des Mille et une nuits accueille les visiteurs. Selon la saison, on peut observer et caresser entre vingt et trente animaux. Mais Ben propose aussi des excursions à dos de dromadaire et organise des fêtes. Dans le jardin, des pavillons à la décoration orientale invitent à boire un verre ou à déguster, par exemple, un authentique pain plat bédouin. Il est aussi possible de célébrer divers événements à la ferme, notamment des anniversaires d’enfants. La stabulation libre et les pâturages offrent une vue paisible. Et l’écurie renferme une première européenne surprenante : une machine à traire les chamelles.
L’animal de rente par excellence
Les dromadaires de Ben sont des hybrides qu’il utilise pour la production laitière. Une entreprise allemande a développé une machine à traire spécialement pour lui. Selon les cas, il utilise un, deux, trois ou quatre gobelets-trayeurs. Chaque animal fournit entre deux et cinq litres de lait par jour. L’important est de ne pas séparer les chamelons ou, comme les appelle Ben, les « bébés » de leurs mères. Sinon, les chamelles risquent d’arrêter prématurément de produire du lait. Il en va de même si elles ne se sentent pas bien. Habituellement, leur lactation dure environ un an. Les camélidés d’Oberglatt ne peuvent toutefois pas rivaliser avec les races spécialisées, qui produisent entre dix et vingt litres de lait par jour. Le lait de chamelle a une teneur en protéines et un goût similaires à ceux du lait de vache. Il contient moins de matière grasse, mais quatre fois plus de vitamine C et ne présente pas de bêta-lactoglobuline, une protéine allergène.
Imbroglio administratif
Au départ, Ben voulait faire venir des animaux de son pays en Suisse. Cependant, la loi ne le permet plus. Depuis 1980, aucun dromadaire n’a été importé depuis un état hors de l’Union européenne. Il a donc dû se contenter des bêtes élevées sur l’île de Grande Canarie. Les importations depuis l’UE sont laborieuses : les camélidés sont soumis à des tests sanguins et à une longue quarantaine. Ben et d’autres agriculteurs issus de 17 pays militent pour à nouveau autoriser l’importation d’animaux du monde entier. C’est essentiel pour continuer d’élever des troupeaux sains. Pour Ben, la consanguinité est le plus grand risque, car elle favorise l’apparition de maladies. Par conséquent, il utilise les mâles à des fins reproductives uniquement quatre ans. Il garde les chamelles, qui restent en théorie fertiles toute leur vie. Quant à leur espérance de vie, Ben plaisante : « Environ 25 ans, mais chez moi, ils ont un job de rêve et vivent 30 ans. » Perte de dents ou désorientation ; il est vrai que certains montrent des signes de vieillesse.
Bien loin des dunes
En Suisse, la loi sur la protection des animaux sauvages réglemente la détention des camélidés. Elle exige d’élever au moins deux bêtes ensemble et que chacune dispose de minimum 8 m 2 dans l’écurie. A l’extérieur, il faut compter un minimum de 300 m2 pour deux ou trois animaux, et ajouter 50 m 2 pour chaque animal supplémentaire. Ben espère une adaptation prochaine de la loi concernant les camélidés d’Afrique et d’Asie afin de mieux répondre à leurs besoins particuliers. Il réclame une discussion entre les éleveurs et les autorités suisses et met volontiers sa ferme à disposition. De toute évidence, la pratique suisse diffère de l’élevage en Tunisie. Làbas, les troupeaux parcourent le désert du Sahara dès la mi-mars. Les bêtes, marquées au fer, appartiennent à différents propriétaires. On compte soixante à cent femelles pour un mâle. A la mi-octobre, les chameliers guident les animaux jusqu’à une oasis désignée comme point de rencontre. A ce rendez-vous, chaque propriétaire récupère ses bêtes, vérifie si les chamelles sont portantes et vend les chamelons de l’année précédente.
Les camélidés d’Oberglatt troquent les herbes du désert contre des aliments concentrés, de l’orge, du maïs et du foin. Ben explique qu’ils ont l’estomac fragile et sont de nature sensible. « Les dromadaires se vexent facilement. Quand je les fais vacciner, ils m’ignorent souvent pendant des jours », s’amuse Ben.
Pas qu’une affaire de bosses
Souvent, on pense que les camélidés se résument aux chameaux et aux dromadaires. Pourtant, ce terme désigne toute une famille de ruminants. On distingue les camélidés d’Afrique et d’Asie, c’est-à-dire les dromadaires et les chameaux, des camélidés d’Amérique, parmi lesquels figurent les lamas, les alpagas, les vigognes et les guanacos.
Ben possède des chameaux et des dromadaires. Les premiers, à deux bosses, sont originaires des déserts froids, notamment du désert de Gobi en Mongolie. Ils tolèrent des températures de + 40 °C à −40 °C et sont de nature calme. Ben les trouve plein de flegme. Les dromadaires ont une seule bosse et plus de tempérament. Ils viennent du Moyen-Orient et d’Afrique. Des températures allant jusqu’à 50 °C ne leur font pas peur. En cas de nécessité, ils survivent aussi par −15 °C pendant de courtes périodes. La gestation des chamelles dure, à deux semaines près, un an.
Notre conseil
Activités pour 2022
La ferme des chameaux a fermé ses portes fin octobre pour la saison 2021. Elle accueillera à nouveau des visiteurs et visiteuses début mars 2022. Mais les plus impatient·es pourront y fêter l’arrivée des Rois mages le 6 janvier 2022. Pour en savoir plus sur les excursions à dos de dromadaire, le lait de chamelle, les événements et les options de réservation, rendez-vous sur le site internet www.benskamelfarm.ch.
Sur la page de la Revue UFA, nous avons préparé une galerie photo dédiée à la ferme de Ben.