Sur les hauteurs d’Urnäsch, à 6h00, le matin du 31.12, les Chläuse quittent leur « repaire » à la chaleur un peu étouffante, à savoir le restaurant traditionnel Schönau. On y discute et on y boit, dans un va-et-vient empreint de fébrilité. Dehors, en chaussures militaires ou de marche, des vilains, des beaux-vilains et des beaux marchent dans la neige en direction des fermes et des maisons (il y a plus de 250 Chläuse à Urnäsch). Mais qui se cache derrière ces masques ? Comme souvent dans les groupes de ce type, tous les métier y sont aujourd’hui représentés. Il fait froid à Schönau Urnäsch, à près de 1000 m, où se pressent les nombreux curieux·ses, locaux et touristes en doudounes. Certains d’entre eux, un café schnaps à la main, semblent enchantés par l’agitation de ces étranges personnages aux lourds grelots, aux chapeaux en branches de sapin et aux masques terrifiants. Ici en haut, les habitations sont éloignées les unes des autres. Au loin, on entend de nombreuses cloches, rappelant celles de vaches en train de paître. Sauf que ce sont les Chläuse qui les portent !
A Urnäsch, on cultive les traditions
A Urnäsch, au pied du Säntis (2338 habitant·es, 79 fermes, 48 km 2 de superficie), on cultive les traditions. Coutume colorée et bruyante visant à l’origine la population, le Silvesterschlausen est depuis longtemps une attraction, les touristes débarquant par cars entiers. « Des milliers de personnes s’amassent le long des rues, comme si elles attendaient un cortège », rapporte Walter Frick, conservateur du musée des traditions locales d’Appenzell. Tous les restaurants sont ouverts jusque tard dans la nuit, et on y déguste des spécialités régionales en attendant la visite des « Schuppel », (cliques de Chläuse), qui sont évidemment flattées de voir un public si enthousiaste.
A Urnäsch, l’art et la culture sont tangibles, sachant que le Silvesterchlausen fait partie du patrimoine culturel immatériel de la Suisse, dont la liste comprend désormais 228 formes de traditions vivantes. Le Silvesterchlausen est la coutume hivernale la plus impressionnante dans les communes de l’arrière-pays et – à l’exception de Trogen – du moyen-pays appenzellois.
Une origine inconnue
Si la 1 re mention écrite des Chläuse date de 1663, nul ne sait vraiment d’où vient cette coutume. Et malgré –ou justement pour – cela, cette coutume touche chaque année, le 31.12 et le 13.01, de nombreuses personnes de tous les âges en Appenzell et au-delà. Le Silvesterchlausen s’apparente aux traditionnels cortèges bruyants de fin d’année. S’il vise certainement à « chasser » l’année écoulée, il faut veiller aux interprétations l’associant avec des rites païens primitifs (célébration de la fertilité ou chasse aux démons) : comme l’explique un certain spécialiste, il y a eu moult spéculations et beaucoup d’encre a coulé à ce sujet (influençant même les porteurs de la coutume), mais au final, on ne peut pas prouver grand-chose.
« Le Silversterchlausen est une coutume exclusivement masculine »
On ne connaît aucune Chläusin
Il existe aujourd’hui à peu près 3 types de Chläuse (cf. encadré) : les vilains, les beaux et les beaux-vilains, aussi appelés Chlaüse des forêts ou de la nature. Ils se présentent tous presque exclusivement en cliques (« Schuppel » en dialecte local). Les uns portent une ou deux cloches et représentent des « Mannevölcher » (groupes d’hommes), encore plus souvent appelés « Schelli » (sonnailles) ou « Schellenchläuse » (Nicolas aux sonnailles), en raison de leurs cloches. Les autres sont les « Rollewiiber » (femmes aux grelots) ou « Rolli » (grelots), et portent un support orné de grands grelots autour du torse. Bien que les « Rollewiiber » revêtent des habits féminins, ce sont des hommes qui se cachent sous le costume. Le Silvesterchlausen est en effet une tradition masculine, à l’exception des « Goofeschüppeli » (cliques d’enfants), auxquels des filles participent parfois. Bien que de nombreuses femmes soient profondément attachées à cette coutume, elles laissent la tradition aux hommes. Si les femmes d’aujourd’hui se déguisent également, elles ne le disent pas. « Je ne connais actuellement aucune Chläusin », déclare Johannes Schläpfer, historien et chercheur sur les Chläuse. En 2023, il a publié le livre « Silvesterchlausen - geächtet - geduldet - gefördert » (Silversterchlausen banni - toléré - encouragé).
Une coutume populaire en Appenzell
Dans l’arrière-pays appenzellois ainsi qu’à Teufen, Bühler, Gais et Speicher, la Saint-Sylvestre est fêtée 2 fois. Les Chläuse, parés de leurs magnifiques costumes, sortent la première fois le 31.12 avec leurs lourdes cloches et grelots. Ils sortent une deuxième fois le 13.01, à la date de l’ancienne Saint-Sylvestre selon le calendrier julien. Les Chläuse se rendent de maison en maison en groupe, le « Vorrolli » (homme aux grelots de devant) ouvrant la marche, suivi par les « Schelli » (hommes aux sonnailles) ainsi que par le « Nœrolli » (homme aux grelots de derrière) qui ferme la marche. Ils s’arrêtent devant une maison, se placent en cercle et se balancent en rythme pour faire tinter les grelots et les cloches, selon une chorégraphie transmise de génération en génération, en entonnant un « Zäuerli » (un yodel naturel, c.-à-d. sans paroles, d’Appenzell). Les Chläuse souhaitent ensuite une bonne année au maître de maison ainsi qu’à sa famille, reçoivent quelques pièces et à boire. Ensuite, ils se rendent, dans le même ordre, vers la maison suivante. « C’est sans doute le contraste entre le son archaïque des cloches et la finesse des Zäuerli qui fait du Silvesterchlausen la plus populaire de toutes les coutumes appenzelloises », explique Roland Inauen, folkloriste et syndic d’Appenzell.
Informations :Musée des traditions locales d’Urnäsch, info@museum-urnaesch.ch, www.museum-urnaesch.ch
Les différents types de Chläuse
Beaux
Apparus au milieu du 19 e s., ils portent des pantalons ou jupes de velours et, sur le visage, un masque simple aux joues roses. Un grand chapeau plat ou une coiffe bombée trône sur leur tête, décorés de milliers de perles de verre. Une clique de beaux comporte en général 6 à 10 hommes vêtus de velours coloré, 2 à 3 « Rolli » et le reste étant des « Schelli ». Les « Rolli » ont des habits féminins et une énorme coiffe en forme de roue. Les « Schelli » portent des coiffes rectangulaires et une cloche (sur le dos et sur la poitrine). La démarche et l’attitude de beaux se distinguent par une certaine élégance.
Vilains
Personnages originels, ils ont aussi des costumes élaborés faits de masques effrayants et de vêtements recouverts de foin, de paille, de branches de sapin et d’autres éléments naturels.
Beaux-vilains
Parfois appelés « Chläuse des forêts ou de la nature », ils sont un mélange des 2 autres catégories, étant parés de matériaux naturels, arrangés en motifs artistiques. Comme les beaux, ils portent sur la tête des figures sculptées ou des animaux empaillés. Les cloches et grelots de diverses formes et tailles portés sur le corps sont le point commun de tous les Chläuse. Comme les vilains, les beaux-vilains utilisent des matériaux naturels pour leur « Groscht » (masque et costume), avec des ornements faits de baies, d’écailles de pommes de pin, de mousse ou de coquilles d’escargots. Comme dans le cas des beaux, les manteaux et les coiffes sont décorés.
Mendiants (jusque vers 1950)
Comme les Chläuse étaient, il y a des siècles, associés à la mendicité, ces personnages qui sautaient et dansaient bruyamment étaient appelés « Bettelchläuse » (Chläuse qui avaient gagné beaucoup d’argent durant la journée). La pauvreté et de famine frappant régulièrement le pays d’Appenzell, le Silvesterchlausen était un moyen de gagner un peu d’argent pour la famille.
Bouffons
Les bouffons étaient à l’origine tous les Chläuse qui officiaient le soir. Ils ne visaient plus à gagner de l’argent, mais à faire du bruit et à s’amuser, ce qui risquait de dégénérer avec le temps.
Protecteurs du patrimoine
En 1927, à l’initiative de la Ligue du patrimoine d’Appenzell Rhodes-Extérieures, 8 élèves de l’école secondaire de Herisau se sont déguisés en Chläuse. Ils portaient des chemises blanches légèrement décorées qui leur arrivaient au-dessus des genoux, un bonnet pointu et des lanières à grelots et à cloches croisées sur les épaules. Jusqu’à leur interdiction en raison de la fièvre aphteuse en 1938, les protecteurs du patrimoine se déplaçaient chaque année pour collecter des fonds au profit d’institutions d’utilité publique. Des cliques de Chläuse d’enfants apparaissent encore aujourd’hui sous une forme comparable à Gonten, dans les Rhodes intérieures d’Appenzell.