Pour Peter Rutishauser (54 ans), agriculteur d’Amriswil (TG), « la nature est un cycle dans lequel tout être humain a un début et une fin. C’est ainsi et il faut l’accepter ». Sa forêt mixte, située à 700 mètres de sa ferme, fait partie depuis l’an 2000 des 80 forêts-cimetières suisses, aussi appelées forêts cinéraires. Cet agriculteur thurgovien se soucie sinon peu des questions sur la vie et la mort. Ses activités professionnelles principales tournent plutôt autour de ses vaches, des arbres fruitiers, des grandes cultures et de sa forêt (25 hectares de terres en tout avec bail à ferme).
Tout est parti d’une petite annonce
Son père, Paul Rutishauser (87 ans), dont il a repris la ferme il y a 22 ans, repère en 1999 une petite annonce pour une forêt cinéraire dans la Revue UFA. Il trouve alors que l’idée d’Ueli Sauter, pionnier des forêts-cimetières, est bonne et que ça peut être un bon revenu additionnel pour sa forêt de 89 ares. Le contrat est signé, l’autorisation accordée et le tout inscrit au registre foncier. Peter Rutishauser le confirme : « Un arbre coûte plus de 4500 francs, sur lesquels je touche une part. »
Peter RutishauserLa nature est un cycle dans lequel tout être humain a un début et une fin. C’est ainsi et il faut l’accepter.
La forêt cinéraire Rutishauser
Sa forêt compte des érables, des cerisiers sauvages, des tilleuls, des noyers, des sapins de Douglas, des épicéas, des pins et des sorbiers. « Il s’agit d’une forêt mixte avec plus de 80 arbres, parmi lesquels 50 sont déjà utilisés comme arbres funéraires. » Peter Rutishauser aime entretenir sa forêt, qui pourra être utilisée par l’entreprise Friedwald GmbH jusqu’en 2099. Parfois, il creuse lui-même l’ouverture d’environ 30 centimètres pour l’inhumation des cendres. La forêt ne lui demande pas un travail extraordinaire et elle doit rester la plus naturelle possible. Il utilise une débroussailleuse pour se débarrasser des ronces et retire les branches sèches. Les proches du défunt doivent pouvoir accéder au site en tout temps. Cette proximité avec la nature est justement un argument fort en faveur de l’inhumation forestière, comme l’a constaté Peter Rutishauser après avoir discuté avec des proches de personnes inhumées et des visiteurs·euses. Sa ferme dispose en outre de places de parc. Thomas Brändle, le bûcheron mandaté par Friedwald GmbH, passe régulièrement voir l’agriculteur, qui peut compter sur son soutien. Au cours des vingt dernières années, Peter Rutishauser ne s’est jamais demandé s’il reposerait un jour ici, dans sa forêt-cimetière. En revanche, ses parents ont déjà choisi un arbre. Peter Rutishauser possède une autre forêt mixte avec des chênes à Oberaach. Il pourrait très bien imaginer y mettre en place une autre forêt cinéraire.
Protégés pendant un siècle
Contrairement à l’Allemagne, l’Autriche ou l’Italie, la Suisse n’impose pas l’inhumation dans un cimetière. Après la crémation, les proches peuvent ainsi disposer librement des cendres du défunt. Ils peuvent garder l’urne à la maison, disperser les cendres dans un fleuve ou au pied d’un arbre, sans autorisation spéciale. Ils peuvent aussi se tourner vers un organisme officiel d’inhumation dans la nature, comme l’entreprise Friedwald , dont les forêts sont inscrites au registre foncier. Le propriétaire de la forêt ne peut alors pas abattre les arbres funéraires, qui sont protégés pendant 99 ans.
Bûcheron conseiller
Changement de scène. Une journée pluvieuse du début du printemps au-dessus d’Ermatingen, dans le canton de Thurgovie. C’est ici que se trouve depuis 2004 une forêt-cimetière de cinq hectares, soit l’une des plus grosses des 14 forêts funéraires que compte le canton. Le calme règne et les feuilles sur le sol étouffent les bruits de pas de Thomas Brändle (41 ans). Ce bûcheron entrepreneur (Brändle Forst GmbH) de Mettendorf (TG) travaille depuis 2008 en tant que conseiller sylvicole sur mandat de l’entreprise Friedwald GmbH. Il est responsable des 80 sites suisses. Aujourd’hui, il prépare une inhumation forestière à Ermatingen.
Préparer l’inhumation
A l’aide d’une foreuse à moteur, Thomas Brändle creuse un trou rond à côté d’un petit if. Les cendres d’un défunt y seront bientôt inhumées. « Il faut bien évidemment faire attention à ne pas blesser les racines de l’arbre et à laisser suffisamment d’espace avec le tronc » , explique le bûcheron. A l’aide d’un sécateur, il retire ensuite les petites racines de l’ouverture d’environ 50 centimètres de profondeur. Puis il ajoute une petite pelle neuve pour l’inhumation des cendres dans le trou, qui aura lieu dans un cadre privé. Il couvre le tout avec un morceau de bois rond et des branches de sapin. Tout autour de l’arbre, Thomas Brändle retire les broussailles. L’inhumation aura lieu le lendemain. Il n’en sait pas plus. Aujourd’hui, les gens font leur deuil et les enterrements comme ils l’entendent. « Un arbre accueille jusqu’à dix inhumations », précise le bûcheron. « On commence au nord, puis on descend vers le sud, l’est et l’ouest. Tout est consigné précisément dans un registre au secrétariat de l’entreprise Friedwald. » Parfois, les cendres d’un animal domestique sont également inhumées au pied de l’arbre cinéraire familial.
Après l’inhumation
Une fois les cendres inhumées, tout doit être comme avant. Lors d’une ronde, Thomas Brändle vérifiera quelques jours plus tard que le sol de la forêt est bien remis en état. Il doit aussi parfois retirer des ornements funéraires, qui sont interdits. « On ne peut pas mettre de bougies ou d’autres décorations. C’est parfois difficile à faire accepter. Il faut toujours regarder. C’est une tâche ingrate », ajoute le bûcheron. Lors de l’inhumation, des pétales de rose peuvent être déposés, qui se décomposeront ensuite. Les promeneurs et promeneuses de la forêt ne remarquent pas forcément qu’il s’agit d’un arbre funéraire. « C’est ce qu’on veut. Les gens savent où se trouvent leurs proches grâce à un plan. Il s’agit d’une forêt normale », souligne Thomas Brändle.
Critères d’une forêt-cimetière
– Taille : à partir d’un hectare
– Peuplement : forêt mixte, surtout chênes, hêtres, érables
– Age des arbres : futaie
– La forêt doit être praticable à pied
– Parking dans un rayon d’un kilomètre pouvant accueillir au moins trois ou quatre voitures
– Propriétaire de la forêt : privé, commune, collectivité, etc.
– Faible charge de travail supplémentaire pour l’entretien de la forêt
– Les arbres concernés sont marqués d’un signe distinctif. Ils font l’objet d’un entretien particulier, afin de rester sains et vigoureux
– Possibilité de continuer à exploiter normalement la forêt et le bois
Notre conseil
Informations et sources
– Friedwald GmbH, 8265 Mammern (TG), téléphone +41 52 741 42 12, info@friedwald.ch, www.friedwald.ch (en allemand)
– Fiche sur le thème des forêts cinéraires, aide pour les autorités : disponible auprès de la Conférence pour la forêt, la faune et le paysage (CFP), téléphone +41 31 320 16 40, info@kwl-cfp.ch, www.kwl-cfp.ch (en allemand)
– En général, les forêts cinéraires sont autorisées en tant qu’exploitation préjudiciable en vertu de l’article 16 de la loi sur les forêts