Eugène Cattin était un homme dynamique et un véritable touche-àtout. Il vécut de 1866 à 1947 dans le village des Bois, une localité située sur les hauteurs du Jura suisse. A la base, il était facteur, une activité qu’il exerçait à plein temps. En plus de cela, il était photographe et chroniqueur. Il élevait aussi des chiens et fabriquait des jouets en bois et des girouettes à vent qu’il vendait devant sa maison. C’est le souvenir qu’en garde l’agriculteur et écrivain Francis Kaufmann, de Bas-Monsieur (NE).
Un plan ambitieux
Eugène Cattin livrait son courrier à cheval ou en vélo. Ses clients étaient disséminés dans les fermes parfois isolées des Franches-Montagnes. En arrivant dans un village, il annonçait sa venue en klaxonnant à tue-tête ou en sifflant. Il ne distribuait d’ailleurs pas que des lettres, des cartes, des journaux et des paquets : il photographiait aussi toutes les fermes et bâtiments de sa région. Eugène Cattin classait les photos selon les numéros d’assurance incendie. Il aimait aussi noter des événements et des anecdotes dans un carnet spécialement réservé à cet effet.
Conservées pour la postérité
Ces écrits n’ont pas été retrouvés. C’est grâce à Roger Châtelain, un habitant de Tramelan, que les plus de trois milles photos et négatifs sur plaque de verre réalisés par Eugène Cattin entre 1900 et 1918, soit la période au cours de laquelle il fut le plus actif, n’ont pas disparu. Roger Châtelain a en effet acheté en bloc tous ces documents photographiques à Eugène Cattin lorsque celui-ci était à la retraite. Grâce à cette initiative, 3095 photos sont passées à la postérité. Plus de 250 clichés montrent les ruraux et les maisons des villages des Bois et du Noirmont avec leurs habitants, des familles paysannes avec leurs chevaux, vaches, chèvres et chiens. La quasi-totalité des personnes présentées sur les photos sont soigneusement identifiées. On retrouve aussi dans ces archives de nombreuses photos de soldats stationnant à la frontière pendant la Première Guerre mondiale.
Par la suite, ce postier très actif est devenu un entrepreneur prospère.
Toujours entièrement équipé
« Une photo pour la postérité, s’il vous plaît » : voici comment ce sympathique postier invitait chacun à prendre la pose. Des autoportraits photographiques montrent Eugène Cattin en uniforme de postier avec sa casquette et son col montant, à cheval ou détendu sur son vélo. Le postier du village des Bois a aussi documenté les débuts de la mécanisation dans l’agriculture. Une photo immortalise ainsi l’utilisation d’une nouvelle faneuse à fourches dans une prairie plate des Franches-Montagnes, une scène qui valait bien une photo. Selon les saisons, Eugène Cattin attelait son chien Saint-Bernard à une petite charrette ou à un traîneau pour transporter son équipement photographique.
Amateur passionné
Eugène Cattin prenait aussi des photos plus risquées : comme celle où l’on aperçoit un groupe de personnes sur les « échelles de la mort », des échelles fixées sur des falaises bordant le Doubs. Autrefois, ces échelles ont parfois été fatales à des trafiquants de montres trop chargés. La collection de clichés conservée actuellement par les archives jurassiennes au Musée de Delémont ne compte pas que des chefs-d’œuvre. Eugène Cattin était un photographe amateur qui n’arrêtait pas de prendre des photos et qui conservait tout, même les photos ratées ou floues. A l’époque, les négatifs sur plaque de verre devaient être éclairés pendant longtemps. Cela impliquait que les modèles photographiés restent immobiles pendant un certain temps, ce qui posait parfois problème, surtout pour les compositions incluant des animaux. Certains clichés d’Eugène Cattin sont cependant d’une qualité époustouflante. D’une grande authenticité, ils représentent fidèlement leur époque. Depuis 2018, date à laquelle une exposition a été réalisée à l’ancienne église du Noirmont, ces photos sont accessibles au public. Publié dans la foulée, le livre de photos rassemblant les plus beaux clichés a eu beaucoup de succès.
Entrepreneur prospère
Plus tard, ce postier débordant de vie est devenu un entrepreneur prospère. Dans le canton de Neuchâtel, après qu’une directive de l’assurance cantonale des bâtiments a stipulé que les toits en paille et en bardeaux de bois devaient être pourvus d’une couverture ignifuge, Eugène Cattin s’est très rapidement lancé dans le commerce de tuiles. Il agrandit sa maison, qui était à l’origine une petite ferme, en construisant un dépôt. Cette activité commerciale lui permit apparemment d’atteindre une certaine aisance : il fut en effet la première personne du village des Bois à acheter une voiture et entreprit de lointains voyages avec son épouse.
Fidèle représentation du Jura
Les pâturages jurassiens, les groupes d’épicéas, les vaches et les chevaux sont caractéristiques des plateaux d’altitude des Franches-Montagnes traversés par le Doubs, qui y a creusé un profond sillon. Les fermes abritent généralement sous un seul toit tout l’espace habitable, les pièces de travail et les étables. Le paysage féérique offre aux visiteurs·euses un espace de détente attrayant et les invite à la promenade. Les pâturages boisés parfois entourés de murs de pierres sèches traditionnels sont un élément marquant du paysage. Le climat est souvent très difficile et les hivers très froids. L’élevage de bétail et l’économie laitière sont, aujourd’hui encore, une source d’emploi pour de nombreuses personnes. Les photos d’Eugène Cattin attestent que beaucoup d’éléments qui font le charme des Franches-Montagnes ont subsisté jusqu’à aujourd’hui.
A l’époque, bon nombre de petits paysans durent chercher des sources de revenu alternatives pour subvenir aux besoins de leurs familles pendant les longs hivers enneigés. Ils fabriquaient à leur domicile des petites pièces qui étaient ensuite assemblées sous forme de montres dans les fabriques de La Chaux-de-Fonds et du Locle. Pendant les longues soirées d’hiver, à la lueur d’une lampe à pétrole, toute la maisonnée s’asseyait, le dos contre le poêle à catelle du salon, penchée sur un ouvrage compliqué.
La patrie des Franches-Montagnes
Aujourd’hui, l’agriculture des Franches-Montagnes dispose d’un vecteur publicitaire idéal et connu loin à la ronde : le cheval des Franches-Montagnes. Dans la région longeant les frontières françaises, cette race reste toujours très présente malgré les progrès réalisés dans le domaine de la mécanisation. Les Franches-Montagnes sont la dernière race de cheval suisse. Ils sont bien adaptés pour accomplir des travaux des champs ou en forêt. Depuis peu, ils sont aussi appréciés en tant que chevaux de loisir pour les sports équestres ou pour l’attelage. « Les Franches-Montagnes ont bon caractère : ce sont des chevaux équilibrés qui ont beaucoup de cœur », explique un éleveur. « Ils se distinguent par leur polyvalence et leur bon caractère. Ils sont par ailleurs patients, sympathiques, désireux d’apprendre et performants. »