Politique agricole
Le Conseil fédéral a adopté la vue d’ensemble du développement de la politique agricole à partir de 2022. Qu’en pensent la recherche et la pratique? La Revue UFA a posé la question au professeur Martin Pidoux, chargé de cours en politique et marchés agricoles, et à Hanspeter Renggli, jeune agriculteur de Ruswil.
Revue UFA :
Que pensez-vous de la vue d’ensemble du Conseil fédéral ?
Hanspeter Renggli :Pour moi, les modifications souhaitées vont trop vite. La PA 14-17 n’est même pas encore achevée qu’on propose déjà de nouvelles solutions. La PA 14-17 a constitué un défi pour mon exploitation, mais si je souhaite investir pour l’avenir, je ne peux pas tout chambouler aujourd’hui.
Martin Pidoux :Je comprends le problème pour les exploitations. La plupart de mes étudiants sont issus du milieu agricole et reprendront un jour ou l’autre une exploitation. Ils détectent très rapidement les problèmes microéconomiques au niveau de l’exploitation. La tâche du Conseil fédéral et de l’OFAG, par contre, est d’analyser la situation au niveau macroéconomique, soit de l’ensemble de l’économie et de son environnement stratégique. Je trouve pour ma part que dans cette vue d’ensemble les problématiques sont bien mises en évidence. La Suisse ne peut pas ignorer ce qui se passe dans le monde.
Comment devrons-nous faire ?
M. Pidoux :Le Conseil fédéral a effectivement mis le doigt sur le problème de la compétitivité. Ces dix dernières années, beaucoup de choses ont été faites à ce sujet en Suisse, mais également à l’étranger. Si l’agriculture suisse ignore cela, les problèmes avec l’étranger, tels que le tourisme d’achat et les écarts de prix, ne feront que prendre de l’ampleur. Il faut donc trouver une solution à long terme, en collaboration avec la branche.
H. Renggli:De nombreuses exploitations doivent croître pour survivre, ou justement pour devenir plus concurrentielles. J’ai l’impression que la Confédération veut un changement structurel. Je me demande comment cela se passera. Je constate que de nombreux agriculteurs déjà ou bientôt retraités veulent impérativement conserver leurs terres. Avec le cours « accéléré » sur les paiements directs, il est très facile pour leurs enfants de reprendre l’exploitation et les terres, et de continuer ainsi à percevoir des paiements directs. Ces exploitations sont ensuite extensifiées. Elles sont évidemment vouées à disparaître sur le long terme, car personne ne devient agriculteur après deux sessions de cours hivernaux. Selon moi, si l’on veut lancer le changement structurel, comme le souhaite le Conseil fédéral, il faut commencer par supprimer ces cours « accélérés ».
« Nous devrons tôt au tard nous adapter à l’évolution mondiale. »
Prof. Martin Pidoux, HAFL
Professeur Pidoux, vous étiez responsable du dossier de la PA 14-17; n’en a-t-on pas parlé à l’époque ?
M. Pidoux :Oui, nous avons discuté de la suppression de ces cours. Mais le secteur agricole n’avait pas trouvé de consensus en la matière. Il ne faut pas oublier que l’agriculture est très diversifiée.
Par ailleurs, je ne pense pas que la politique agricole puisse à elle seule beaucoup influencer le changement structurel. La Suisse a connu un changement structurel rapide après la Deuxième Guerre mondiale. Il était alors assez difficile de trouver un successeur dans les familles paysannes bien que les conditions encadrant la politique agricole aient été plutôt favorables. Vous constaterez que de nombreux autres facteurs influencent le changement structurel.
H. Renggli :Mais si les paiements directs étaient plus orientés sur la production, soit sur les animaux ou les cultures, l’impact serait plus grand. Les exploitations très extensives qui ne reçoivent que peu de paiements directs vendraient leurs terres. Sur ce point, je suis d’avis que le système actuel n’est pas optimal.
M. Pidoux :Avant la PA 14-17, les paiements directs étaient précisément orientés sur la production. C’est une des raisons qui a motivé la réforme.
H. Renggli :Aujourd’hui, il est malgré tout assez intéressant d’exploiter de manière extensive et de miser sur les contributions écologiques.
M. Pidoux :C’est vrai. Pourtant, avec des paiements directs axés sur les animaux, il y avait des effets secondaires indésirables. Certaines exploitations étaient incitées à détenir trop d’animaux, par exemple. Elles devaient alors acheter des fourrages, ce que la Confédération ne voulait pas encourager. En cas de conflit d’objectifs, le système parfait n’existe pas, il faut trouver des compromis.
M. Renggli, quelle serait la bonne approche selon vous ?
H. Renggli :Je suis conscient qu’un système garant de prix plus rémunérateurs grâce à un soutien aux produits n’est pas praticable, notamment en raison des règlements commerciaux internationaux. Les facteurs UMOS, par exemple, pourraient être mieux utilisés.
Ces facteurs permettent de savoir précisément le travail fourni par l’agriculteur sur son exploitation.
M. Pidoux :Vous plaidez en faveur d’un relèvement du seuil UMOS: mais à partir de quel point une exploitation a-t-elle droit à un soutien ? Il s’agit à mon sens d’une question politique, qui doit être traitée au Parlement. Et les petites exploitations familiales jouissent d’un large soutien au sein de la population.
H. Renggli :Je ne plaide pas pour le relèvement des UMOS, mais pour que les exploitations familiales soutenues par la population le soient aussi par la Confédération en fonction du travail fourni. Les exploitations extensives axées uniquement vers les paiements directs et qui se maintiennent juste au seuil UMOS ne sont pas des exploitations familiales et n’ont pas besoin d’être soutenues.
M. Pidoux :Il s’agit pour moi d’un problème de répartition des ressources. 3,4 milliards de francs sont distribués à l’agriculture, mais comment les répartir ? Sur le principe, je suis d’accord que les agriculteurs qui travaillent moins devraient bénéficier d’un soutien moindre. En regardant de plus près l’article 104 de la Constitution fédérale, on constate d’autres objectifs: auto-approvisionnement, entretien du paysage et occupation décentralisée du territoire. C’est en fonction de ces objectifs que les moyens financiers sont distribués. Les petites exploitations (ou les exploitations plus extensives) fournissent elles aussi ces prestations. Il n’y a par conséquent, de ce point de vue, aucune raison de relever le seuil UMOS.
Le nombre d’exploitations agricoles a reculé de 1,9 % en 2016. Le changement structurel n’est-il pas déjà en marche ?
M. Pidoux :Oui, effectivement. Dès qu’une surface se libère, les agriculteurs sont très nombreux à s’annoncer et sont prêts à payer cher, même si les parcelles se trouvent à 15 km de distance.
H. Renggli :Cette pratique est encouragée. Les petites exploitations doivent survivre: elles ont fait des investissements et ont besoin de terres. La Confédération veut que nous grandissions.
M. Pidoux :J’interprète la situation différemment. La Confédération dit que les exploitations doivent devenir plus concurrentielles, sans préciser comment faire pour y parvenir. Cela peut aussi fonctionner sur une petite exploitation, notamment grâce à une production de niche.
Certains agriculteurs semblent prêts à payer des fermages trop élevés. Comment faire pour éviter cette situation ?
M. Pidoux :Il existe déjà de nombreuses réglementations pour éviter que les terrains agricoles soient trop chers, mais cela reste difficile à contrôler. Des prix trop élevés ont un impact défavorable sur l’agriculture, car cela crée des rentes de situation. Il est difficile de trouver une solution. Le prix des terrains ne dépend pas uniquement des paiements directs, mais aussi du prix des denrées alimentaires. En Suisse, tout est plus cher et notre compétitivité en souffre. L’agriculture est aussi concernée.
H. Renggli :L’idée est d’augmenter la pression pour forcer les exploitations à devenir plus compétitives.
M. Pidoux :On ne peut pas dire que ces réflexions soient systématiquement erronées. Je trouve regrettable que la Confédération ait été aussi vivement critiquée. L’opposition systématique n’est pas une option. Je pense qu’il faudrait plutôt se demander quelles sont les raisons qui ont motivé la Confédération à mettre sur la table ce projet pour l’évolution future de la politique agricole. En tant que scientifique et professeur, je ne doit pas faire de politique. Mon travail est d’aider les étudiants à anticiper les évolutions futures. La vision pour la PA 22+ est certainement une bonne base en la matière.
« Aujourd’hui, il est malheureusement intéressant d’exploiter de manière extensive et de miser sur les contributions écologiques. »
Hanspeter Renggli, agriculteur
A quoi ressemblera concrètement l’agriculture suisse de demain ?
H. Renggli :Je m’engage pour le maintien des exploitations familiales. Elles sont essentielles à l’occupation décentralisée du territoire et au maintien de notre culture. Qu’une exploitation compte 10 ou 30 ha ne joue aucun rôle.
M. Pidoux :Je pense qu’en raison de la demande (marchés cibles), plusieurs formes d’exploitation vont se développer. Il s’agira d’une part de petites exploitations avec une production de niche et une création de valeur élevée. Il y aura d’autre part de grandes exploitations spécialisées dans certaines branches de production et qui produiront à grande échelle. Les communautés d’exploitation et les communautés partielles d’exploitation sont à mon sens une autre solution. A mes yeux une chose est sûre: dans 50 ans, nous pourrons toujours être fiers de l’agriculture suisse et de son dynamisme.
Auteure
Gabriela Küng, Revue UFA, 8401 Winterthour