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Vie quotidienne

La traite sous les bombes

La guerre en Ukraine a été largement relayée dans les médias. Les villes et les infrastructures bombardées témoignent de l’ampleur des dégâts. Mais comment les exploitations laitières ukrainiennes vivent-elles cette période difficile ?

Impact d’un missile russe près d’une ferme.

Impact d’un missile russe près d’une ferme.

(AgroTVUkraine / Volodymyr Hamalytsia)

Publié le

Collaboratrice scientifique, Agroscope

Collaborateur scientifique, Agroscope

Dès le début de l’offensive contre l’Ukraine, fin février 2022, le secteur laitier de ce pays s’est retrouvé en état de choc. Les chaînes d’approvisionnement reliant exploitations agricoles, entreprises de transformation et réseau commercial ont été interrompues, tandis que les infrastructures de production et de logistique ont été détruites. L’interdépendance entre production et transformation a suscité de vives inquiétudes.

Réduction de la production

Pour économiser du fourrage, les exploitations agricoles situées à proximité du front ont réduit l’alimentation du bétail de trois à deux portions par jour, se résolvant ainsi à une baisse de la production laitière. L’accès aux fermes était souvent restreint en raison des bombardements et de routes détruites, ce qui rendait difficiles les tâches telles que la traite. Lorsque les exploitations ne parvenaient plus à livrer le lait aux entreprises de transformation, elles l’offraient à la population locale. Elles ont cependant parfois dû se résoudre à le jeter. En dernier recours, certaines exploitations agricoles ont essayé de déplacer leur cheptel dans les régions plus sûres de l’Ouest ou du centre du pays.

Pillage, destruction et anéantissement

Dans les régions occupées, les exploitations agricoles ont été totalement ou en partie détruites. Nombre d’agriculteurs·trices ne pouvaient plus traire ni nourrir leurs animaux. Les envahisseurs ont pillé de nombreuses fermes, miné les champs et tué des bêtes. Le bétail chassé errait dans les forêts et les champs. Si certaines entreprises de transformation du lait ont cessé leurs activités, d’autres ont continué envers et contre tout.

Le bétail chassé errait dans les forêts et les champs

Dans les régions occupées, plus de 100 exploitations laitières et 38 laiteries ont été détruites.

Qui achète encore du lait ?

Même dans les régions épargnées, les premiers mois de guerre ont été difficiles. Les infrastructures logistiques ont été détruites, mettant en péril l’approvisionnement en fourrage, en médicaments vétérinaires et en pièces de rechange. Cette situation a entraîné une augmentation des prix et des difficultés pour trouver certains intrants nécessaires à l’alimentation animale. Par ailleurs, la mobilisation a provoqué un manque de main-d’œuvre. Les laiteries ont, quant à elles, dû faire face à une baisse de débouchés commerciaux, puisque près de 4 millions de personnes ont quitté le pays durant le premier mois du conflit. Enfin, les exportations de produits laitiers ont été presque totalement interrompues en raison du blocus des ports de la mer Noire par la Russie. Tous ces éléments ont conduit à la constitution de stocks élevés de lait cru dans les laiteries et donc à une baisse des prix du lait pour les producteurs·trices. Les entreprises de transformation ont donc commencé à transformer les excédents de lait cru en produits de longue conservation (en poudre de lait ou en caséine, par exemple).

Une reprise étonnante

Malgré toutes ces difficultés, le secteur s’est adapté et l’industrie laitière s’est bien rétablie. En avril 2022 déjà, 65 % des entreprises de transformation avaient repris leurs activités. En même temps, les régions du Nord ont été reconquises et l’industrie laitière a pu y redémarrer. Les exploitations libérées manquaient cependant encore de fourrage, de carburant, de médicaments vétérinaires, de pièces de rechange ainsi que de maind’œuvre. De plus, de nombreuses exploitations occupées se trouvant en zone de combat avaient été détruites et avaient perdu 30 à 50 % de leur bétail. La plupart d’entre elles ont en outre dû remettre leurs vaches en lactation, car elles n’avaient pas été traites pendant plus d’un mois en raison de l’occupation, puis du déminage.

Il a fallu remettre la plupart des vaches en lactation.

Des agriculteurs·trices étrangers, des entreprises et des organisations publiques ont soutenu les agriculteurs·trices ukrainiens et leur apportent encore aujourd’hui une aide humanitaire. La Suisse a notamment financé à hauteur de 2,5 millions de francs suisses un projet visant à soutenir 296 exploitations laitières dans quatre régions libérées (Tchernihiv, Kiev, Kharkiv et Soumy).

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Ces hommes travaillent dans une ferme sur la ligne de front (région de Kharkiv). Depuis les premiers jours de la guerre, ils préparent des repas qu’ils livrent aux forces armées. Sur cette photo, ils sont en train de cuisiner du « plov » (riz pilaf ukrainien avec du riz long grain, des morceaux de viande, des oignons et des carottes). 

(Mazharka Dairy Farm)

 

Augmentation des exportations pour sauver le secteur

Fin mai, cinq millions de personnes avaient déjà pris la fuite. En plus de la crise économique due à la guerre, cet exode a entraîné une baisse de la consommation de produits laitiers et la constitution de stocks importants. L’évolution de l’industrie laitière dépendait alors essentiellement des exportations. Pour venir en aide à l’Ukraine, le Parlement européen ainsi que le Canada et la Grande-Bretagne ont décidé d’abolir provisoirement les droits de douane pour les exportations de produits agricoles et alimentaires de l’Ukraine vers ces pays. Les conditions sur le marché mondial et en particulier en Europe étaient favorables, notamment au cours des trois premiers trimestres de 2022, qui ont été marqués par une hausse des prix des produits laitiers. En 2022, les exportations totales de produits laitiers ont augmenté de 36 % par rapport à 2021. Grâce aux privilèges douaniers, l’Ukraine a pu augmenter ses exportations et se hisser dans le top 10 des pays exportateurs de beurre et de caséine.

Pannes de courant en automne

Les dégâts intentionnels portés aux infrastructures énergétiques par des attaques de missiles à l’automne ont de nouveau affecté l’industrie laitière. En raison de coupures de courant récurrentes, le travail de traite était sans cesse interrompu, ce qui a eu un effet négatif sur la santé de nombreuses vaches, qui ont dû être abattues. Dans les laiteries, l’interruption de l’alimentation électrique a entraîné la dégradation des produits laitiers. Les exploitations agricoles comme les entreprises de transformation ont été contraintes d’acheter ou de louer des génératrices et de payer l’électricité au prix fort, ce qui a engendré une hausse des coûts de production de 10 à 15 %. Malgré les difficultés et les destructions engendrées par une année de conflit, les exploitations laitières ukrainiennes ont continué à travailler et ont tenté par tous les moyens de préserver leur cheptel. Personne ne voulait abattre ses vaches prématurément ; les agriculteurs·trices n’abandonnaient que lorsque leur exploitation était complètement détruite. Au total, le cheptel laitier ukrainien a diminué d’environ 200 000 bêtes en 2022, les pertes les plus conséquentes ayant eu lieu sur les exploitations familiales. Cette baisse a entraîné une diminution de la production de lait de 12 % pour atteindre 7,7 millions de tonnes.

Après la guerre

Les exploitations agricoles et de transformation se sont révélées très résistantes lors du conflit (et le sont encore) et remplissent leur fonction sur le front économique. Les agriculteurs·trices ont également assumé une responsabilité sociale en distribuant des denrées alimentaires – non seulement du lait, mais aussi d’autres produits de la ferme – à la population locale et aux personnes réfugiées. Nombre d’agriculteurs·trices ont également participé à des activités bénévoles et ont fourni à l’armée ukrainienne des voitures, des munitions et d’autres articles nécessaires pour mener le combat.

Au cours des deux dernières décennies, l’industrie laitière ukrainienne avait prouvé sa haute rentabilité et sa compétitivité. Le manque de lait, datant déjà d’avant le conflit, s’accentuera encore en raison de la destruction des infrastructures de production. Ainsi, dans un premier temps, la priorité est d’augmenter les quantités produites pour couvrir les besoins indigènes. Après le conflit, le pays devrait donc être propice aux investissements. 

Quelques faits sur la production laitière en Ukraine

On trouve en Ukraine à la fois de grandes exploitations et des exploitations familiales. S’agissant des grandes exploitations laitières, elles ont une superficie de plus de 1000 hectares et un cheptel moyen de 250 animaux. Aux mains d’investisseurs, elles emploient la main-d’œuvre, y compris le·ou la chef·fe de l’exploitation. La production laitière y fait partie de l’ensemble des activités agricoles qui, en règle générale, incluent également les grandes cultures, l’engraissement de bovins et la garde d’autres animaux .

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