Avec ses cheveux bruns à hauteur d’épaule, son épaisse barbe, ses lunettes de soleil noires et son T-shirt gris, Fabrizio Raselli est plutôt du genre sportif. D’un œil attentif, il parcourt ses champs sur les hauteurs du lac de Poschiavo pour observer la croissance de la sauge et de la livèche qu’il a semées il y a quelques semaines. Depuis 2019, ce maraîcher de formation loue une ferme entourée de montagnes escarpées et proche du lac de Poschiavo, où il cultive des herbes aromatiques et élève du bétail : « Cette ferme, c’est la chance de ma vie », explique Fabrizio Raselli avec un léger accent italien. Son entreprise, qui porte le nom « Raselli Azienda Agricola » (bioraselli.ch), emploie jusqu’à 25 personnes selon la saison. « Les bâtiments et les terres appartiennent à mon oncle Reto, et je possède le bétail et les machines. Mon objectif est de racheter l’ensemble de l’exploitation, mais je dois d’abord mettre de côté les fonds nécessaires. »
15 hectares d’herbes aromatiques
Fabrizio Raselli, 33 ans, exploite une surface totale de 50 hectares, composée de parcelles situées autour de sa ferme à Le Prese (hameau du petit village de Cantone), ainsi que de diverses prairies sèches et de mayens. Il consacre 15 hectares à la culture des herbes aromatiques, mais sa grande fierté, ce sont ses animaux : il possède des vaches grises rhétiques et tyroliennes, des bovins de la race japonaise de Kobe, des chèvres rayées des Grisons, des ânes, des poules et des porcs. Après une enfance passée à Le Prese, Fabrizio Raselli a effectué un apprentissage de menuisier en Engadine et au Tessin, et a même été joueur de hockey semi-professionnel. C’est en 2019 qu’il a décidé de se lancer dans l’agriculture et de suivre les traces de son oncle Reto Rasseli, un des pionniers de la culture d’herbes aromatiques bio. Ce dernier gère encore aujourd’hui la célèbre entreprise Raselli Erboristeria Biologica, qui produit de délicieuses infusions bio aux herbes de montagne.
Herbes aromatiques et bétail font bon ménage
Lorsqu’on lui demande quelle est la recette du succès, Fabrizio Raselli répond : « La culture des herbes aromatiques de qualité biologique est exigeante, car il faut des terres, des fonds, une installation de séchage, un savoir-faire spécifique, de l’expérience et une grande persévérance. » En 1981, son oncle Reto a commencé à cultiver des herbes aromatiques à Le Prese sur cinq ares. Il a opté pour des variétés locales telles que la mauve, le plantain lancéolé, la guimauve officinale, l’achillée et l’alchémille. Selon Fabrizio Raselli, associer la culture des herbes aromatiques et l’élevage de bétail était déjà idéal à l’époque et l’est encore aujourd’hui.
Fleurs et herbes comestibles uniquement
Pour les herbes aromatiques, la haute saison s’étend de mai à octobre. Fabrizio Raselli cultive une vingtaine d’herbes aromatiques indigènes et méditerranéennes, des plantes médicinales ainsi que des fleurs, comme la menthe poivrée, la menthe pomme, l’alchémille, la mélisse citronnelle, le thym, la verveine, la camomille, le souci, le bleuet, ainsi que les fleurs de sarrasin. « La menthe poivrée et la sauge ne sont pas des plantes indigènes, mais elles poussent très bien ici dans la vallée », explique le spécialiste. « Nous produisons uniquement des fleurs et des herbes comestibles. Environ 30 % des plantes sont pluriannuelles. La menthe poivrée et les orties sont particulièrement demandées. »
Une qualité décisive
L’unique client de Fabrizio Raselli est l’entreprise de son oncle. « Je lui vends toute ma production. Nous avons conclu un contrat de culture pour les herbes aromatiques bio. Je produis uniquement ce que mon oncle me commande. Les plantes que je cultive sont donc vendues avant même qu’elles poussent. Je suis conscient de ma situation privilégiée. » Erboristeria Biologica est l’une des principales entreprises d’herbes aromatiques bio de Suisse. Elle produit des infusions, des herbes aromatiques et des produits thérapeutiques, mais aussi les herbes nécessaires à la fabrication d’un produit exporté phare de Suisse : le bonbon aux herbes de Ricola. L’entreprise livre le fabricant de bonbons basé à Laufon (BL) depuis 1985.
Impact des changements climatiques
Pour obtenir une qualité optimale, tout commence par des plants optimaux, suivis d’une bonne fertilisation avec du fumier et du lisier de sa propre ferme biologique : « C’est un cycle magnifique et naturel », explique l’agriculteur avec passion. Enfin, il faut récolter au bon moment et sécher soigneusement les herbes. En revanche, il n’est pas possible d’influencer la météo, qui reste déterminante. Les années se suivent et ne se ressemblent pas, ce qui rend le travail passionnant et exigeant à ses yeux. Cependant, les changements climatiques sont de plus en plus préoccupants, comme l’explique l’agriculteur : « Les répercussions sont extrêmes. Durant l’été 2021, il a fait vraiment chaud à peine deux ou trois jours et quasiment rien ne poussait mis à part les mauvaises herbes. L’année dernière, c’était l’inverse : nous avons dû irriguer nos cultures avec l’eau de fonte des glaciers provenant de la rivière voisine. Cette eau était trop froide et a ralenti la croissance des plantes. Un futur système d’irrigation devrait permettre de remédier à cette situation. »
Météo et rentabilité
Les changements climatiques ont un impact sur la rentabilité de la production de plantes aromatiques et médicinales : « Si la météo est clémente, on peut en vivre. C’est suffisant pour payer les factures et on a toujours l’espoir qu’il en reste encore pour dégager une petite marge », ajoute Fabrizio Raselli en riant. Son exploitation étant biologique, il ne peut pas utiliser de produits phytosanitaires : « Nous enlevons les adventices soit avec des sarcleuses, soit manuellement champ par champ. » Au printemps, les cultures pluriannuelles sont entretenues, puis jusqu’à 600 000 plants sont mis en terre en mai. En été, c’est le moment des foins. Ensuite, jusqu’à l’arrivée du froid, il faut récolter les herbes aromatiques. En septembre déjà, la neige peut s’inviter.
La culture des herbes aromatiques bio en Suisse
Les herbes aromatiques suisses sont recherchées. En 2021, la part de la surface bio dédiée aux herbes aromatiques et médicinales (annuelles et pluriannuelles) s’élevait à 61 %. La part bio de toutes les variétés de thé se montait à 49,4 % en 2021 dans le commerce de détail en Suisse (y c. les thés importés), soit un chiffre d’affaires de plus de 48 millions de francs. Cependant, la culture des herbes aromatiques bio est encore un marché de niche en Suisse. La production d’herbes aromatiques séchées se fait le plus souvent sous contrat. Parmi les fermes bio qui produisent des herbes aromatiques, beaucoup sont situées dans des régions de montagne. Le manque de protection douanière est un facteur de difficulté sur le marché.
Le marché des herbes aromatiques fraîches a lui aussi fortement progressé au cours des dernières années. Les herbes fraîches – sauf celles destinées à la vente directe – sont cultivées par des producteurs·trices hautement spécialisés. La production d’herbes aromatiques en pots a aussi gagné en importance ces dernières années. Plus d’une centaine d’espèces d’herbes aromatiques différentes sont aujourd’hui cultivées en Suisse. Aucun prix indicatif n’est fixé pour les herbes séchées biologiques.
Pour planifier et commercialiser les cultures, les producteurs peuvent passer par les coopératives de Plantamont (Groupement suisse pour la promotion des cultures de plantes aromatiques en région de montagne), par l’association VBKB (Vereinigung für biologischen Kräuteranbau im Schweizer Berggebiet) ou s’arranger directement avec divers acheteurs·euses. Le marché des herbes aromatiques fraîches est dominé par de grands producteurs qui planifient leurs cultures avec le commerce de détail et assument une grande partie du stockage, du conditionnement et de la logistique.
Source : Bio Suisse