Quand la ferme se transforme en foyer pour personnes âgées

Alfred Lüthi, 74 ans, se lève en principe avant six heures, puis enfile son pantalon et ses chaussures de travail. Sa première mission consiste à installer les cônes de signalisation pour assurer la sécurité sur la route Berne-Zurich. En effet, la route cantonale très fréquentée sépare le home de la ferme, qui y est rattachée. Il se rend ensuite à la grange, s’arrêtant au passage prendre soin de Lotti et Lea, les deux chèvres timides qu’il est le seul à pouvoir caresser. Dans la grange, il fend des bûches, rassemble du petit bois ou fabrique des harasses. Quand on lui demande pourquoi il fait encore tout ça alors qu’il aurait pu lever le pied il y a longtemps déjà, il répond en souriant : « Je dois rester occupé, sinon je vais m’encroûter ! »

Des débuts lointains

Le foyer « Oeschberg der Lebensort » a vu le jour grâce à Elise Affolter et son frère, Ferdinand. En 1905, ils ont légué le domaine d’Oeschberg à une œuvre caritative, qui avait pour mission d’en faire un foyer pour les anciens valets ou filles de ferme.

Passionné par le travail du bois, Alfred Lüthi a été valet de ferme pendant 45 ans, dont 43 chez le même paysan. Le nombre de valets et de filles de ferme diminuant sans cesse, le foyer est aujourd’hui ouvert à toutes et à tous – ou presque : les pensionnaires doivent encore être en mesure de monter au moins quatre marches, ne pas représenter un danger pour eux-mêmes et ne pas nécessiter de soins importants.

Chacun·e à son échelle

En revanche, la question de savoir si les pensionnaires sont encore capables de travailler et, si oui, dans quelle mesure, n’a aucune importance. Kari Kropf (83 ans), par exemple, ne peut plus aider au jardin autant qu’il le souhaiterait. Il arrive toutefois encore à arracher des mauvaises herbes par-ci par-là et donne parfois des conseils à Brigitte Studer, employée qui s’occupe notamment du jardin potager. Mais ce qu’il préfère, c’est s’occuper des chats et les caresser. Avec ses grandes bottes, il course à petits pas un chat noir et blanc, en expliquant : « Regardez, Housi est revenu ! J’ai eu peur que le renard l’ait attrapé. » Hier soir, armé de sa lampe de poche, il est même parti à la recherche de l’animal.

Une communauté d’humains et d’animaux

Le foyer d’Oeschberg accueille actuellement 36 résident·es et un pensionnaire de jour, répartis dans trois bâtiments. La joyeuse troupe est complétée par quatre chats, deux chèvres, neuf lapins et deux troupeaux de poules pondeuses – le plus ancien des deux ayant déserté le pâturage pour se retirer dans le « home pour poules âgées ».

Ce sont principalement les résident·es qui s’occupent des animaux. Idéalement, les employé·es, comme Brigitte Studer, n’ont plus qu’à jeter un œil pour vérifier que tout a été fait. Outre les travaux avec les animaux, le bois et la ferme, les pensionnaires ont aussi des tâches à effectuer au sein du foyer, comme passer l’aspirateur, faire la vaisselle, repasser, ou encore récolter, parer et transformer les fruits et légumes du jardin. Enfin, last but not least, ils sont aussi présents sur les stands des marchés de Soleure, Burgdorf et Herzogenbuchsee.

Encadrement interne

Des employé·es accompagnent les pensionnaires au quotidien. Représentant un total de 18 équivalents plein temps, ces salarié·es diplômés travaillent dans les secteurs de la restauration, de l’intendance et de la production ; ils assument encore des tâches de la vie quotidienne et s’occupent des espaces verts. Contrairement à ce qui se fait dans d’autres foyers pour personnes âgées ou institutions semblables, les collaborateurs·trices d’Oeschberg endossent toutes et tous des fonctions d’accompagnateurs·trices. En revanche, le foyer ne dispose pas de sa propre unité de soins ; ceux-ci sont en effet délégués à l’entreprise Spitex, spécialisée dans l’aide et les soins à domicile. Les soins de base, tels qu’une assistance pour la douche ou les soins corporels, sont toutefois prodigués à l’interne.

Freiner ou motiver

Au foyer d’Oeschberg, le forfait journalier s’élève à 135 francs, soit des frais d’au moins 4000 francs par mois pour les pensionnaires (ou leurs proches) – des coûts relativement bas par rapport aux autres maisons de retraite. Mais peut-on réellement qualifier ce foyer de home pour personnes âgées ? La ferme fonctionne plutôt comme un foyer familial ou une colocation entre personnes du troisième âge. Et quels sont les défis qu’implique cette forme de vie en communauté ? « Cela demande un certain tact », explique Brigitte Studer.

Notamment lorsqu’une nouvelle recrue arrive. Par exemple, un nouveau pensionnaire souhaitait s’occuper des lapins, mais il n’était pas envisageable de retirer ce rôle à la personne qui s’en occupait alors : « Les lapins ont un effet anti-dépresseur sur ce pensionnaire. » Il faut en outre freiner certains résident·es dans leur élan ou au contraire en motiver d’autres. L’architecture du foyer d’Oeschberg représente aussi un défi : « Comme nous occupons un monument historique protégé, nous ne sommes pas libres de faire comme bon nous semble ; par exemple, nous ne pouvons pas l’aménager pour le rendre accessible aux personnes avec un handicap », explique la directrice, Nadja von Allmen. Les chambres sont par ailleurs simplement équipées d’un lavabo. Les douches et les toilettes se trouvent à l’étage. Malheureusement, les pensionnaires qui ne sont plus suffisamment mobiles doivent déménager dans un autre foyer. « Cependant, la volonté de rester est parfois si grande que c’est une bonne motivation à se maintenir en forme. »