Dans l’agriculture, les coopérations sont largement répandues et sont judicieuses d’un point de vue entrepreneurial. Les communautés d’exploitation administrées sous la forme de sociétés simples sont la forme juridique la plus fréquente. Le succès de la collaboration dépend de la qualité des relations humaines au sein de l’organisation.
Cornelia Grob
Agronome BSc BFH – responsable technique et conseillère en gestion d’entreprise et en coopérations chez Agriexpert, Union suisse des paysans (USP). Cornelia Grob conseille les exploitations agricoles suisses dans les domaines des estimations, du droit agricole et de la gestion d’entreprise.
Revue UFA : D’un point de vue entrepreneurial, quels sont les objectifs réalistes d’une collaboration ?
Cornelia Grob : Les familles paysannes sont des entreprises familiales au sein desquelles tous les membres accomplissent des travaux précis et contribuent ainsi au revenu. En comparaison avec d’autres branches d’activité, la charge de travail y est particulièrement élevée. Un meilleur équilibre entre travail et vie privée (« work-life-balance »), la sécurité économique accrue et des processus de travail rationnels sont autant de motifs plaidant en faveur d’une coopération. Cette solution favorise aussi l’échange entre collègues et la répartition des rôles.
En quoi la coopération favorise-t-elle le développement de l’entreprise ?
C. Grob : Dès que le niveau 3 de collaboration est atteint, une exploitation individuelle ne peut plus agir et décider comme elle le ferait en tant qu’entité autonome. Un tel niveau de coopération correspond déjà à un stade où tout n’est plus centré sur une personne (chef d’exploitation / couple d’exploitants). Un changement s’opère : les parties poursuivent des objectifs communs sous la forme d’une organisation. Au cours de ce premier stade, il est important de se fixer des règles instaurant une bonne transparence ou la préservant.
Concrètement, à quoi ressemblent de telles règles ? Peut-on se passer d’un patron ?
C. Grob : Il est impossible d’être aussi catégorique. Au sein des équipes de travail, les responsabilités sont généralement réparties en fonction des capacités de chacun. Il se peut par exemple qu’une collaboration fonctionne très bien avec un seul patron à sa tête. Tout passe alors par ce dernier et c’est également lui qui se charge de la direction administrative. Dans l’agriculture, on constate néanmoins souvent que les partenaires qui choisissent de regrouper leurs exploitations ont suivi des formations similaires, qu’ils recherchent un échange constructif et souhaitent partager les responsabilités. Dans ce cas, une culture du dialogue ouverte et saine est primordiale et permet à la collaboration d’atteindre ses objectifs même s’il n’y a pas de patron à la tête de la nouvelle entité. D’une manière générale, il convient d’opter pour un système qui tienne compte des capacités, des forces, des faiblesses et des expériences de chaque partenaire.
La charge organisationnelle n’entrave-t-elle pas les gains d’efficacité ?
C. Grob : Dans de nombreux cas, la collaboration implique un surcroît de travail organisationnel. Il s’agit cependant de trouver des structures qui concourent, justement grâce à cette planification plus poussée et au partage approfondi des responsabilités, à améliorer l’efficacité des processus. Comme on le dit souvent, la « planification est vitale ». Les agriculteurs ne peuvent bien entendu pas tout planifier, car la météo reste le facteur incontournable pour cultiver la terre. Mais dans ce domaine aussi, force est de constater que les associations sont plus performantes et que les périodes de beau temps peuvent par exemple être mises à profit de manière plus efficace. Plusieurs personnes travaillent en effet sur place et connaissent les processus de travail. Lors des pointes de travail, il n’est plus toujours nécessaire de recourir à du personnel externe, qui n’est parfois pas au courant des processus.
Une coopération réussie implique-telle nécessairement une prochaine étape, c’est-à-dire l’adoption de la forme juridique d’une personne morale ?
C. Grob : Non. Les collaborations sous forme de communautés d’exploitation ou de communautés partielles d’exploitation sont fréquentes dans l’agriculture. Légalement, ces entités sont des sociétés simples, c’est-à-dire un regroupement de plusieurs personnes physiques en vue d’atteindre un objectif commun. Dans une société simple, le succès de la collaboration n’implique pas nécessairement l’adoption du statut de personne morale. La création d’une telle structure juridique implique en effet un surcroît de travail administratif et complexifie passablement l’organisation.
Dans la pratique, on constate que le travail administratif supplémentaire résultant du statut de personne morale n’est intéressant qu’en cas de revenus très élevés ou de risques conséquents liés aux branches d’exploitation paraagricoles. Dans le cas d’une collaboration regroupant des entreprises actives dans la production primaire, les contraintes supplémentaires que cela engendre n’en valent souvent pas la peine. Cette structure juridique ne permet que rarement de bénéficier d’avantages fiscaux. Rappelons aussi que le droit foncier rural et l’ordonnance sur les paiements directs prévoient une application très stricte de la personne morale.
Il est primordial de se fixer des règles dès la phase initiale de la collaboration.
De quelles compétences sociales fautil disposer pour qu’une collaboration fonctionne sur le long terme ?
C. Grob :Avant tout, il faut être conscient que bien que s’inscrivant sur le long terme, une collaboration n’a jamais vocation à durer éternellement. Les collaborations finissent généralement par être remaniées, au plus tard lors de la remise d’exploitation. Une collaboration bénéfique passe cependant par une culture du dialogue constructive entre les partenaires. Cette culture du dialogue peut toutefois prendre de multiples formes, chaque partenaire étant différent. C’est ce qui fait que certaines communautés fonctionnent très bien avec une organisation flexible, alors que d’autres ont besoin d’une structure stricte ou hiérarchisée.
Comment puis-je évaluer mes capacités et celles de mes partenaires dans ce domaine ?
C. Grob :Lorsque l’on envisage une collaboration, cette étape doit être mûrement réfléchie. Pour déterminer dans quelle mesure le partenaire envisagé pourrait être un associé idéal, il est nécessaire de planifier la collaboration en détail. Des entretiens et des séances de préparation préliminaires montreront si une culture du dialogue existe vraiment et aideront à en apprendre davantage sur les objectifs de chacun. Il vaut la peine de prendre du temps et de réfléchir à toutes les implications qui découlent de la création d’une telle structure.
Outre les compétences sociales, l’environnement familial et les valeurs des partenaires sont essentielles pour que la collaboration soit un succès.
InterviewStefan Gantenbein, Revue UFA, 8401 Winterthour