Texte et photos : Stefan Gantenbein
En bref
- Les pratiques culturales ménageant le sol augmentent la capacité de rétention d’eau du sol et réduisent les dégâts liés aux inondations.
- Les sols vivants ont un meilleur régime hydrique et sont plus résistants aux aléas climatiques (sécheresse, fortes pluies, etc.).
- Des sols sains se construisent lentement, mais à terme, ils garantissent des rendements stables et limitent les intrants.
L’agriculteur Bruno Feierabend mise sur son sol pour assurer sa récolte : les véritables garants de cette « police d’assurance » sont les acariens, les isopodes, les vers, les champignons et autres microorganismes. Il adopte cette approche bien que son exploitation d’Inwil, dans le canton de Lucerne, soit située au cœur d’une zone à risque d’inondation. « Lorsque de fortes pluies tombent pendant plusieurs heures, le niveau de la Reuss monte. Il ne faut alors pas longtemps pour que l’eau reflue dans le ruisseau et se déverse dans mes champs », explique l’agriculteur au milieu de sa prairie artificielle, en indiquant la direction du Rotbach, le ruisseau qui coule en contrebas, en parallèle à ses terres et à la Reuss.
Revirement après le choc des primes
Précisément à cet endroit, il y a neuf mois, Bruno Feierabend a eu de l’eau jusqu’au-dessus des genoux. En effet, à la fin du mois d’août 2024, exactement un jour après le semis, il est tombé 100 litres d’eau par m 2 en une heure. La photo prise avec son téléphone portable, qu’il montre aux membres de la rédaction de la Revue UFA venus visiter son exploitation trois mois plus tard, en témoigne clairement. Evoquant cet épisode, l’agriculteur fait part de son étonnement : « Cinq jours plus tard, l’eau s’était répandue partout. Mais à mesure qu’elle se retirait, mètre après mètre, les semences germaient rangée par rangée, jusqu’à ce que toute trace de l’inondation disparaisse. » Aucun nouveau semis ou passage de herse n’a été nécessaire : seul le moment de la première fauche a été repoussé – un dommage facilement gérable.
Bruno Feierabend, agriculteur« Je dois attaquer le problème à la racine. »
Il n’en a pas toujours été ainsi sur les terres de la ferme Fahrho, comme l’explique Bruno Feierabend : « Lors des grandes inondations de 2005 et de 2007 dans la région, l’eau est remontée en surface avant de stagner pendant des semaines. » Dans les deux cas, la perte de récoltes avait alors été prise en charge par l’assurance. Cependant, les primes augmentaient à chaque nouvelle déclaration de sinistre. Bruno Feierabend a fini par acquérir une certitude : « Je dois attaquer le problème à la racine et faire en sorte que l’eau s’écoule plus rapidement. » Ainsi, en 2018, il a débuté des pratiques culturales ménageant le sol. Trois ans plus tard, il s’est adjoint les services d’Alain Huber, un entrepreneur de travaux agricoles spécialisé dans la gestion régénérative des sols.
Cultiver la résilience des sols grâce à une approche systémique
Avec son entreprise Erdig AG, l’entrepreneur de travaux agricoles Alain Huber accompagne les agriculteurs·trices qui veulent des sols sains et résistants grâce à des approches régénératives et systémiques. Pour ce faire, le spécialiste suit le principe selon lequel un sol résilient est capable de surmonter les changements et les événements violents sans dommages permanents, de se rétablir rapidement et de remplir à nouveau sa fonction de base. Ses machines permettent l’application d’extrait de compost, la préparation du lit de semence et le semis direct en ligne ou le semis monograine en un seul passage, le tout avec un poids inférieur à 10 tonnes.
Sol fertile avec des processus naturels
Aujourd’hui, les deux hommes se tiennent sur la prairie artificielle, d’où ils extraient une motte de terre avec une bêche. Les racines des graminées s’enfoncent profondément dans ce sol à la structure stable et grumeleuse.
Alain Huber, entrepreneur de travaux agricoles« L’utilisation d’engins lourds dégrade la structure du sol. »
Des vers de terre s’y faufilent, signes évidents d’une vie active dans ce dernier. Bruno Feierabend souligne à ce propos : « Le simple fait d’utiliser des engins lourds détruit la structure grumeleuse et réduit la fertilité du sol. Or si en on perd les micro-organismes, celui-ci devient vulnérable aux événements météo induits par le dérèglement climatique. » Voilà une réalité dont les assureurs de récoltes ont pris conscience depuis longtemps (cf. entretien).
Sur son exploitation, l’agriculteur a désormais adopté une approche de culture régénérative : le sol est recouvert de végétation toute l’année ; les passages sont peu nombreux et le travail est léger ; une bêcheuse est utilisée en lieu et place de la charrue ; enfin, un semis d’engrais vert est coordonné avec les cultures principales. Par ailleurs, Bruno Feierabend n’utilise plus d’engrais minéraux sur ses terres, mais uniquement des engrais de ferme. Ce faisant, il sépare le lisier : la fraction solide (fumier solide) est fermentée, tandis que la partie liquide (lisier liquide) est enrichie en poudre de roche et en micro-organismes.
Les sols vivants sont résilients
« Une hausse du taux d’humus de 1 % augmente la capacité de rétention d’eau de 400 m 3 par hectare », expliquent les deux hommes en replaçant la motte de terre dans le trou. D’après Alain Huber, l’amélioration du régime hydrique du sol n’est cependant que l’un des effets observés : « Je considère la résilience comme une sorte de stabilité dynamique, la manière dont l’écosystème du sol peut réagir aux influences environnementales sans pour autant changer, voire perdre son état initial. » Selon lui, à long terme, il est plus bénéfique que les sols stockent plus d’énergie moyennant une photosynthèse très performante, afin qu’ils restent meubles et vivants.
Bruno Feierabend, agriculteur« Il faut avoir le courage de fraiser une culture. »
Pour répondre à cette visée, Bruno Feierabend doit, dans la pratique, faire face aux événements avec flexibilité et en gardant une perspective globale : « Si une certaine culture ne pousse pas bien à un endroit, il faut aussi avoir le courage de la fraiser et de semer un engrais vert à la place », dit l’agriculteur.
Un changement payant à long terme
Restaurer un sol dégradé ne peut se faire du jour au lendemain : pour en assurer un développement durable, un travail de longue haleine est de mise, reposant sur de nombreux facteurs qui favorisent un cycle équilibré et des sols fertiles. « Avec l’expérience, les échecs deviennent de plus en plus rares », explique Bruno Feierabend. Par ailleurs, l’agriculteur juge ce risque résiduel acceptable, compte tenu de l’indépendance et de la sérénité ainsi acquises.
« Les agriculteurs ont tout intérêt à s’engager sur cette voie »
Appréciez-vous les agriculteurs qui renoncent à leur assurance ?
La gestion des risques fait partie des décisions entrepreneuriales stratégiques. Ceux dont les terres sont régulièrement exposées à la sécheresse ou aux inondations devraient songer à s’adapter. A terme, assurer les risques climatiques (sécheresse, gel ou inondations) deviendra plus complexe et de plus en plus coûteux.
Y a-t-il des modèles sans augmentation des primes en cas de sinistre ?
Non : les primes doivent s’adapter à l’évolution des sinistres, sinon le système ne fonctionne pas : si les risques croissent, les primes croissent aussi – c’est inévitable. Depuis cette année, la Confédération accorde cependant des réductions de primes pour les risques de sécheresse et de gel, soulageant ainsi les exploitations.
Quand une assurance atteint-elle ses limites ?
En cas de risques systémiques (p. ex. sécheresse à grande échelle) : lorsque de nombreuses exploitations sont touchées en même temps, il n’y a plus de compensation solidaire avec des exploitations qui ne sont pas touchées ; en cas d’augmentation de la fréquence, la situation peut devenir financièrement critique, notamment si ce sont surtout les exploitations sises dans des zones à risque qui s’assurent. A cela s’ajoutent les charges en personnel élevées pour évaluer les dommages. Ainsi, nous misons de plus en plus sur les assurances indicielles, qui règlent les indemnisations sur la base de données de mesure, évitant le contrôle sur place.
Comment rendre l’agriculture plus résiliente face aux aléas du climat ?
Les agriculteurs et agricultrices ont tout intérêt à s’engager sur la voie ouverte par Bruno Feierabend : pour s’en sortir à long terme, ils ont besoin d’une stratégie de gestion des risques climatiques. A cet effet, il vaut la peine de se faire conseiller, de participer à des groupes de travail ou de recourir à des entrepreneurs de travaux agricoles spécialisés. La seule souscription d’une assurance ne suffit pas pour s’adapter.
Comment Suisse Grêle réagit-elle aux risques climatiques ?
Soutenant des projets rendant l’agriculture plus résiliente, nous l’aidons activement à s’adapter. Les assurances sont ajustées en continu aux changements climatiques (sécheresse et gel notamment), en vue de fixer des tarifs adaptés aux risques, d’assurer le bon fonctionnement du système d’assurance et d’éviter de freiner les adaptations requises.